HomeInterviewsOlivia Ruiz se confie dans le cadre de la sortie de son premier roman

Olivia Ruiz se confie dans le cadre de la sortie de son premier roman

Il aura fallu patienter deux mois de plus avant de découvrir le premier roman d’Olivia Ruiz. Initialement prévu pour début avril, le confinement aura finalement obligé l’artiste à décaler la sortie de La commode aux tiroirs de couleurs, un roman captivant qui parle d’exode, de famille, d’amour, avec émotion et élégance.

Nous connaissions Olivia Ruiz chanteuse et actrice, la voici romancière ; une romancière passionnée et passionnante, qui a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.

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   > Bonjour Olivia. Votre premier roman La commode aux tiroirs de couleurs est sorti il y a un peu plus d’une semaine. Comment vous sentez-vous ? Êtes-vous satisfaite des premiers retours ?

Oui, je suis satisfaite des premiers retours, même si je ne suis pas sûre qu’il s’agisse vraiment de satisfaction, j’en suis émue surtout. C’était un saut dans le vide, même si celle qui m’a poussée à me jeter, mon amie devenue mon agente Olivia de Dieuleveult, avait mis quelques filets de sécurité, en faisant lire le texte avant de l’envoyer à des éditeurs, notamment à quelques personnes autour d’elle suffisamment exigeantes pour confirmer la sensation qu’elle avait.

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   > La sortie de votre roman était prévue début avril, mais vous avez été contrainte de la repousser à cause du confinement. Comment avez-vous vécu la situation ? N’était-ce pas un peu frustrant ?

Ce n’est pas vraiment le fait d’avoir dû repousser la sortie qui était frustrant mais plus le fait de devoir annuler des concerts et des lectures musicales de La commode. Il y a un an et demi – deux ans que j’ai fait les derniers concerts de ma tournée précédente et je laissais monter le désir en me disant « olala, quand je vais programmer la prochaine tournée, je serai assoiffée et d’autant plus performante de ces retrouvailles« . Finalement j’aurais dû prévoir de faire cela un peu plus tôt, parce que c’était dur d’être sur les starting blocks et à 6 jours du premier concert de devoir repartir sur les bancs parce qu’on n’est pas prêt de décoller. C’est angoissant, pesant.

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   > Avez-vous envisagé de reporter ces concerts et ces lectures musicales ?

On n’a pas encore toutes les informations en main. On est encore dans une espèce de semi-standby. Mais il semblerait que la tournée reprenne en septembre.

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   > Chez Can You Hear The Music ? nous avons dévoré votre livre d’une traite, en un après-midi… C’est un très beau livre…

C’est bon signe quand c’est d’une traite. Il y a un truc que j’adore faire, même si c’est super dur : chaque fois qu’un livre m’emmène, quand j’arrive au 2/3, je m’autorise cinq pages par jour. Ça me peine et parfois je reviens trois pages en arrière et comme cela ça m’en fait huit. Chaque fois qu’un livre m’a touchée, j’ai eu ce réflexe d’inventer cette petite méthode et notamment pour L’ombre du vent de Carlos Ruiz Zafón. Essayez ma technique. Sur celui-là c’est sur que vous allez sentir une frustration quand vous ne serez plus qu’à 50 pages de la fin.

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   > Mais nous avons pris quelques notes, de jolies phrases qui nous inspirent, de petites citations qui nous ont plu.

Moi je ruine les livres. Je n’ai longtemps pas osé, mais après avoir lu Chagrin d’école de Daniel Pennac, je me suis dit « après tout… il a raison ». Il faut désacraliser le livre, il faut qu’il vive, qu’il soit corné, qu’il soit prêté, qu’il revienne un peu pourri, avec la tâche de café de la copine. Ça dédramatise le livre, notamment pour les gens qui pensent que la lecture est trop grande pour eux. Se permettre de laisser vivre, de commencer par la fin, d’aller piocher au pif… ça dédramatise le rapport à la lecture, ce qui est bien.

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   > Ce livre aborde plusieurs thèmes, dont l’exode, l’amour… qu’est-ce qui a inspiré cette histoire et qu’est-ce qui vous a donné l’idée de cette grand-mère qui se livre à sa petite-fille à travers cette commode et ses secrets, ses souvenirs ?

L’idée d’une grand-mère qui se livre à sa petite-fille était quelque chose de très personnel. J’ai tellement rêvé de recevoir cette histoire en héritage ; histoire que je sentais vivre puissamment en moi et selon laquelle le silence était complètement fait comme si ça n’avait aucune importance et comme s’il valait mieux laisser cela où c’était, c’est-à-dire sous le tapis. Depuis mes neuf ans, la première fois que j’ai chanté en espagnol, je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose et j’ai harcelé mes grands-mères de questions, vainement. J’ai toujours fantasmé cet héritage. Puis j’ai voyagé au Burkina où j’ai rencontré le père adoptif de mon ami Abidine, avec qui nous avons une association là-bas et qui nous a livré quelques morceaux de l’histoire du pays, de sa propre histoire, de ses blessures… Nous étions quelques-uns autour de lui à partager cette histoire. J’ai trouvé que cette tradition orale était belle, qu’elle est l’essentiel. Pourquoi n’y a-t-il pas de griots chez nous, au sens premier du terme, qui peuvent transmettre ? C’est une préoccupation qui est arrivée très tôt dans ma vie, et qui ne me quitte pas, puisqu’elle est aussi le sujet de la tragédie musicale Volver, que j’ai écrite avec Jean-Claude Gallotta pour le palais de Chaillot. J’aborde ce sujet sous plein d’angles notamment de la chanson Non dit avec Christian Olivier où je lui confie une histoire personnelle sur laquelle je me sens incapable d’écrire et qu’il le fait pour moi, jusqu’à Question de pudeur où je parle d’une grand-mère qui est en train de s’éteindre et de sa fille ou petite-fille qui lui supplie de lui transmettre les choses avant de laisser aller son dernier souffle… La transmission, l’héritage, le silencieux et le concret… ce sont des choses qui me travaillent, voire m’obsèdent depuis longtemps. C’était une évidence. Pour l’histoire, j’ai fait un plan que j’ai dû respecter 2 minutes 30, j’ai aussi laissé les personnages m’emmener là où ils avaient envie d’aller. J’avais envie que ce soit hyper réaliste donc il m’a fallu vérifier les références historiques pour que ça corresponde à la vraie vie. Et il suffit d’avoir quelques années pour se rendre compte que la vie c’est tout sauf facile et que c’est une succession de grands bonheurs et de grandes tragédies. Il y a des éléments du livre que je n’avais pas envie de voir arriver, mais dramaturgiquement parlant, pour mon rythme, pour la véracité du propos, pour la justesse, il fallait que ça se passe là. Je n’avais pas envie, mais tout mon récit m’a appelée là parce que c’est là qu’il fallait que cela aille, pour avoir une rupture rythmique qui allait amener à un recommencement dans cette vie aussi. Je me suis laissé guider par l’écriture, j’ai changé d’avis dix fois, je me suis fait éjecter des personnages au moment de l’éditing par mon éditrice et par mon agente, avec qui nous avons bien désépaissi le roman. Mais comme c’était au profit du texte et qu’elles avaient cette petite coquinerie de me dire que certains éléments seraient pour le deuxième livre (rire), j’ai fini par accepter de couper dans mon texte sans rechigner. L’histoire est restée ce qu’elle est aujourd’hui, avec des choses enlevées et des personnages disparus. Et chaque lecture me recadrait. Dès qu’on lisait avec mon équipe de super-nana, il y avait des choses évidentes. On regardait s’il y avait des problèmes de compréhension, s’il y avait des phrases trop longues, s’il manquait de la matière… L’histoire a fini de s’affiner sur la toute dernière période de correction.

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   > Combien de temps avez-vous mis pour écrire ce roman ?

Je ne saurais pas dire parce que je n’ai fait qu’alterner des moments d’écriture intense avec des moments de découragement. Sur un an et demi, j’ai bossé un mois ou deux à fond puis je me suis découragée pendant quatre ou cinq mois en disant que je n’y arriverai pas, que le costume était trop grand pour moi. Mais Olivia de Dieuleveult ne me lâchait pas, je ré-écrivais deux mois à fond… Tout bout à bout ça correspond peut-être à cinq / six mois de travail mais avec tout l’aspect psychologique entre les périodes de travail qu’il fallait régler pour se jeter là-dedans, ça fait un an et demi, avec 1/3 de l’année dédié au boulot réellement. Puis il y a eu les coupures liées aux créations de spectacles, comme celui qui devait partir en mars. Même si ce roman a été mon activité principale pendant un an, il y avait aussi des petites choses à côté. C’est difficile de quantifier précisément.

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> Ce roman parle beaucoup d’exode, de guerre, des Espagnols qui ont été obligés de quitter leur pays. C’est un sujet que nous retrouvons beaucoup dans vos œuvres : notamment dans le spectacle Volver dont vous nous avez parlé tout à l’heure ou plus récemment avec Bouches Cousues. Est-ce que le fait de parler de cette période de l’histoire très importante – dont, selon nous, nous ne parlons pas suffisamment et dont ce n’est pas le conflit que l’on connaît le mieux – vient d’une envie de rendre hommage ? De faire perdurer un souvenir, une mémoire ? De sensibiliser ?

Tout cela à la fois. Un immense devoir de mémoire dont je me sens étrangement porteuse, mais pourquoi moi plus qu’un autre membre de la famille, comme mon frère qui travaille auprès de mineurs isolés, et qui a travaillé pendant douze ans auprès de migrants mineurs isolés ? Pourquoi, comment cet exil-là, je n’ai pas la réponse. Il coule dans nos veines, il nous rappelle à lui, il nous dépasse. Donc c’est pour tout cela à la fois : pour ce besoin de mettre en lumière un épisode de l’histoire tellement tu et pour lequel même nous, concernés, nous avons eu du mal à trouver des réponses à toutes ces questions que nous nous sommes posées, en dehors des témoignages. Mais dans les livres d’histoire… on se demande jusqu’à quel point Franco contrôlait l’information. C’est quelqu’un qui avait cette technique très particulière de rétention de l’information pour garder son image intacte. Et c’est un cri de douleur pour tous les enfants, petits-enfants d’immigrés ou les quelques immigrés encore en vie. Cette non-reconnaissance du combat et de la violence du vécu est insupportable. Et cela l’est d’autant plus quand on se rend compte aujourd’hui que nombre de migrants subissent le même traitement.

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   > Dans la littérature, quels sont les auteurs qui vous inspirent ?

Ce ne sont pas forcément des auteurs classiques au sens littéraire du terme. Je pense au premier recueil de nouvelles de Miranda July ou à Lena Dunham. Je peux aimer des choses très « classiques », comme Raymond Carver, Jean Giono, André Gide, Antoine Blondin, Pagnol. Très classiques mais très teintées de l’univers de la ruralité et de la méditerranée qui m’est proche. J’ai adoré La mort de Bunny Monro, de Nick Cave. Et L’ombre du vent fait partie des livres cultes pour moi. Tout ce qui me ramène à mes origines, du Pas pleurer de Lydie Salvayre en passant par Véronique Covaldé, Carole Martinez ou même Serge Pey… Cette littérature me touche parce qu’elle est immense mais aussi parce qu’elle appelle quelque chose d’intimement fort.

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> Vous êtes chanteuse, actrice, auteure, vous excellez dans les trois arts, mais est-ce que vous avez une préférence ?

Merci. Je ne sais pas si j’excelle dans les trois, mais je prends le compliment qui me regonfle (rire). Je n’ai pas de préférence. Il y a un mélange de peur de l’ennui et de peur d’être catégorisée. J’ai une peur panique de la privation de liberté quelle qu’elle soit. J’ai toujours été, au grand regret de mes parents, une insoumise. C’est ce que raconte ma chanson La Fille du Vent qui a été écrite par mon meilleur ami qui me connaît depuis l’âge de 13 ans et qui connaît très bien ma famille aussi. En allant toucher à tout et en allant relever des challenges, je soigne ma peur de l’ennui, je soigne mon sentiment d’illégitimité en allant me heurter à des choses qui ne sont pas d’une évidence totale en comparant avec le reste de mon parcours. Et j’ai la sensation qu’on ne peut pas m’attendre là ou là-bas et m’obliger, inconsciemment, à faire quelque chose. C’est dur quand on a eu des succès phénoménaux comme La Femme Chocolat ou Miss Météores de ne pas être dans la panique de cette attente. C’est pour cela que ça a été bon d’aller ailleurs pour rester dans la création à l’état pur, c’est-à-dire raconter des histoires, sans le poids des succès passés aussi. Puis je suis challengeuse. Je dis oui à des trucs, puis je m’effondre en disant que je suis tarée d’accepter ça mais c’est trop tard et il va falloir y aller. Comme quand j’ai accouché depuis neuf mois et que je pars vivre cinq mois à Grenoble à coup de huit heures de danse par jour. Je pleure beaucoup puis je me dépasse.

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> Nous vous avons découverte avec la musique et votre dernier album À nos corps aimants est sorti en 2016. Est-ce que vous envisagez de revenir vers la musique et de recomposer un nouvel album après cette aventure littéraire ?

J’envisage tout et je n’envisage rien (rire). Spontanément je me suis plutôt remise à écrire parce que j’ai trouvé que cela faisait du bien à mon petit cœur (rire). Mais j’ai tellement hâte de retrouver ma vie de saltimbanque, c’est pour cela que je suis faite. Plus que pour des enregistrements d’album, plus que pour courir des plateaux TV et faire de la promo. J’aime être dans le concret, être dans mon bus avec mes gars, me remettre en question chaque soir dans cet état d’urgence qu’est la scène que je trouve tellement merveilleux. Je ne sais pas du tout. J’ai envie de plein de choses. Je vous avoue que là je suis plus préoccupée par le fait de danser à nouveau, par exemple. Avoir un réveil corporel après avoir passé plusieurs mois à écrire assise sur une chaise est peut-être le premier step vers un nouveau disque. J’ai tellement aimé travailler avec Gallotta et son équipe. J’essaye de voir comment je pourrais mettre un peu de cela dans Bouches Cousues, vu que nous avons gagné un peu de temps de réflexion, pour encore amener quelque chose de plus au spectacle qui est déjà super grâce à la mise en scène de Jérémie Lippmann, entre autres, qui a fait Rouge, la pièce multi-nommée aux Molières cette année. Il a également fait la mise en scène des dernières tournées de NTM et de -M-. Je travaille avec lui depuis des années.

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   > Nous parlions d’écrire. Est-ce qu’il existe des similitudes dans la façon de composer un album et celle d’écrire un livre ?

Pour les chansons, je vais être plus instinctive au début. En maison de disques, on m’a souvent demandé « c’est quoi le concept ? » quand je disais que j’étais en train d’écrire. Je répondais que le concept c’est d’écrire des bonnes chansons. Pourquoi faut-il un concept ? Et incroyablement, à chaque fois que les 15 ou 12 chansons étaient là, le concept était là. C’était juste les préoccupations d’une artiste en train d’écrire à un moment donné de sa vie. Il n’y avait pas la nécessité de conceptualiser. J’aime procéder à l’instinct et laisser l’ensemble des chansons me dire où se trouvent ma souffrance et mon bonheur, puisque tout mon cerveau à dicter à ma main d’aller à cet endroit. Et à chaque fois c’était vérifié : la renaissance avec Le calme et la tempête, la féminité, le complexe, le rapport à l’enfance avec La femme chocolatJ’aime pas l’amour était beaucoup plus tranché parce que de là d’où je venais j’avais besoin d’être dans quelque chose de radicalement opposé au reste. Chaque thématique d’album va avec des préoccupations presque classiques d’une femme de l’âge que j’ai au moment où je l’écris.

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   > Par le passé vous avez collaboré avec Benjamin Lacombe, un illustrateur de talent, sur deux ouvrages jeunesse : La mélodie des tuyaux et Swinging Christmas. Comment se sont passées ces collaborations, comment avez-vous rencontré Benjamin Lacombe ?

Pour La mélodie des tuyaux, je lis juste l’histoire. Pour Swinging Christmas, Benjamin a choisi d’illustrer une de mes nouvelles que je lui avais confiée. Cela s’est fait vraiment par hasard, on se connaissait, on s’appréciait. J’étais partie en vadrouille seule à Bogota et à ce moment-là il m’a dit qu’il travaille beaucoup en écoutant mon album du big band, celui qui se retrouve dans le livre. J’avais pris un billet sans retour, d’abord à Cuba, puis je suis allée voir un ami à Bogota et la balade m’a rendu créative. Alors on a adapté une nouvelle qui lui a beaucoup plu et il l’a illustré.

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   > Vous aimeriez refaire une collaboration pour de la littérature jeunesse ?

J’adore ça. J’ai un lien particulier avec les enfants et j’aime être à leur contact. C’est quelque chose qui grandit en moi, parce que je sens que ce public possède tout ce dont j’ai besoin aujourd’hui : pureté, simplicité, zéro mesquinerie. Je trouve qu’être au contact des enfants nous rapproche de nous-même. J’ai le projet de faire un Oli à la rentrée, un petit format génial de France Inter qui présente des histoires racontées. Et bien sûr continuer à rendre fier mon petit bonhomme avec des choses qu’il pourra comprendre, même s’il a à peu près cerné La Commode. C’est un moteur de plus à développer. Donc oui, un jour, bientôt, mais en tout cas j’adorerais ça. Récemment j’ai d’ailleurs fait deux lectures musicales pour les enfants, puisque j’ai adapté une bande dessinée argentine, qui s’appelle Bonne nuit planète. C’est un superbe livre. J’ai adoré avoir cette spontanéité en face, cette émotion. J’adore aller au cinéma avec des salles remplies d’enfants, juste pour les entendre rire, même si je n’ai pas spécialement envie du film, juste parce que ça fait du bien. Donc oui, ce sera forcément une corde de plus à mon arc, un jour ou l’autre.

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Un grand merci à Olivia Ruiz pour cette interview passionnante.
Son livre La Commode aux tiroirs de couleurs, sorti aux éditions JC Lattès, est disponible dans toutes les librairies depuis le 3 juin dernier.

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Actuellement chargée de communication, je suis passionnée par les musiques actuelles. J'observe, j'écoute, j'interroge et j'écris.

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