A l’occasion du festival Terres du son qui s’est déroulé les 12, 13 et 14 juillet à Monts (37), nous avons eu la possibilité de participer à une conférence de presse en présence de Clara Luciani. Voici les questions qui lui ont été posées.
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> Clara, ça fait combien temps que tu tournes maintenant ?
Ça fait un peu plus de deux ans je dirais.
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> Non stop ou il y a eu des périodes de pause ?
Il y a eu des petites coupures pour finir d’enregistrer le disque, la réédition mais j’ai vraiment commencé les concerts en première partie toute seule avec ma guitare il y a trois ans. Et il n’y a pas eu d’années sans concerts, il ne s’est pas passé un mois sans concerts.
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> Et ce rythme effréné comment le gère-t-on? Comme une grande sportive ? Comme ça vient ?
C’est un peu ça. On se rend très vite compte que c’est loin de ressembler à la vie rock’n’roll qu’on a en tête quand on rêve de ce métier-là. Effectivement il faut avoir un petit peu de rigueur et de discipline pour réussir à tenir le coup.
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> Vous avez sorti un EP en 2017, ensuite l’album Sainte-Victoire, puis une réédition, donc vous avez beaucoup de morceaux à votre actif et de bonne facture mais le grand public a surtout tendance à vous résumer, à vous identifier avec La Grenade, comment expliquez-vous cela ?
On n’explique pas, je crois, le succès d’une chanson, l’effet un peu tube. Si on pouvait l’expliquer ça voudrait dire qu’on aurait la recette et on ferait tous cette recette-là. On explique jamais pourquoi une chanson, tout à coup, explose et se met à nous dépasser. Je ne le sais pas moi-même. Je sais par contre que certains l’avait prédit. Je sais qu’il y a beaucoup de mes amis qui venaient aux concerts au début et qui disaient « cette chanson-là à quelque-chose de spécial mais on ne saurait pas trop dire pourquoi ». Voilà, ça reste mystérieux mais j’aime bien que ce soit mystérieux comme ça.
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> On parlait de réédition. Pourquoi avoir choisi de faire une réédition en ajoutant des morceaux plutôt que de garder ces morceaux de côté pour un prochain album ?
Quand j’ai fait l’album il y avait plein de chansons comme ça que j’aimais beaucoup, qui n’étaient pas encore tout à fait abouties et que j’ai terminé dans les mois où j’ai terminé l’album et que je chantais sur scène. J’étais un peu frustrée parce que je me disais « j’aime cette chanson là mais le deuxième album j’ai envie de me laisser le temps de le faire » et elles ne seront plus d’actualité, il y aura un moment où elles seront trop anciennes. Donc j’avais envie de pouvoir les greffer sur le premier album. Quand on fait un premier album c’est tellement compliqué de lâcher le bébé, de se dire « ok maintenant il est prêt », que je trouvais ça super d’avoir presque l’occasion de le rectifier finalement. De revenir sur mes pas et de dire « ah attendez, en fait il manquait ça ». Et c’était un peu ça la réédition, c’est comme ça en tous cas que moi je le voyais. Et j’étais super heureuse de pouvoir aussi me permettre de faire notamment le duo avec Katerine, de rajouter comme ça un espèce de chapitre supplémentaire.
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> Et comment est venue l’opportunité de faire ce duo ?
J’en rêvais depuis longtemps. Katerine est quelqu’un que j’admire beaucoup, depuis que je suis ado. J’avais des souvenirs de moi en train d’écouter Katerine dans la cour du collège. J’ai toujours trouvé qu’il avait quelque chose de presque magique et je le trouve hyper poétique. Un jour j’étais dans un restaurant juste à côté du studio où on travaille et il y a Katerine qui est rentré. J’étais tellement timide que je me suis mise dos à lui pour ne pas qu’il me voit, j’avais trop peur. Et c’est Katerine lui-même qui est venu me voir en disant « je vous ai vu à Taratata, j’ai trouvé ça super ». Et là j’étais dans tous mes états. J’ai gardé ça dans un petit coin de ma tête et je me suis dis que peut-être, maintenant qu’il y a eu cette première rencontre, je peux me permettre à un moment donné de lui proposer un duo et c’est ce que j’ai fait quelques semaines plus tard. Et par chance il a accepté.
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> Pour votre première fois à Terres du son, est-ce que c’est un honneur d’être une tête d’affiche sur un festival, suite à votre parcours ?
Évidemment c’est un honneur. C’est un honneur de toute façon, d’être en tête d’affiche ou pas, de jouer dans des festivals, d’avoir l’occasion, même cette année, d’avoir fait de petites salles mais qu’elles aient été remplies, qu’il y ait des gens qui viennent c’est évidemment un honneur.
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> Depuis le début de la saison c’est votre deuxième date en région Centre, vous êtes venue il y a quelques mois à Bourges. La région Centre c’est une région qui n’est pas loin de Paris certes mais vous venez du sud. Du coup vous avez quand même un certain regard très éclectique, est-ce que c’est une terre fertile où c’est plus agréable de jouer que le nord de la France, la Bretagne… ?
Je ne ferai pas de racisme (rires). Je pense qu’il y a des publics supers partout. Franchement c’est difficile de juger ça. Je sais qu’à Bourges on avait eu un accueil assez exceptionnel et je crois peut-être pouvoir dire par contre que notre public le plus chaleureux reste le public belge. Je ne sais pas si c’est lié à la bière (rires) ou dans l’ADN. Mais ils sont hyper hyper chaleureux et en plus de ça j’ai une histoire un peu particulière avec la Belgique. On parlait de La Grenade tout à l’heure et La Grenade a été un tube en Belgique à un moment donné où ça ne passait nulle part à la radio en France. A chaque fois qu’on allait là-bas c’était trop cool, les gens chantaient les paroles, puis ensuite on revenait en France et on jouait devant personne. Du coup tout le monde voulait ne faire que des dates en Belgique (rires).
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> La chanteuse Angèle et vous avez évoqué le machisme dans les médias. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ce qu’on avait évoqué, je crois que c’était trois jours avant Les Victoires, c’était à la télévision. On parlait notamment des épithètes qui sont parfois utilisés pour parler des chanteuses et qui nous semblent parfois un petit peu inappropriés. Je disais que j’avais l’impression que c’était des adjectifs qu’on utilisait assez peu pour décrire les musiciens hommes. Souvent, dans les introductions des articles, qui sont quand même le moment où on est censé capter l’attention du lecteur et puis presque finalement dire le principal, c’est là que je découvre des descriptions qui sont plus des descriptions physiques que des descriptions de mon travail et je suis toujours un petit peu étonnée de voir ça. De voir que dans les premières phrases on va parler de ma silhouette, de ma ressemblance avec Caroline de Maigret, mais que par contre on ne décrira que assez peu ma voix et mes chansons. Et je me disais « est-ce que c’est un sort qui est réservé uniquement aux femmes ou est-ce que les hommes sont victimes de ce truc-là ? » et j’ai l’impression quand même, en y réfléchissant et en lisant un petit peu la presse que c’est quelque-chose d’assez ciblé envers les femmes.
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> Est-ce que le fait de savoir qu’il y a un titre qui est sorti du lot par rapport à l’ensemble de votre travail va influencer plus tard la sortie du deuxième album ? C’est à dire est-ce que vous allez aller dans la direction de ce succès ou bien allez-vous rester fidèle à vous même, par rapport à des styles ou des répertoires ?
Vous voulez dire est-ce qu’il faudrait que je fasse systématiquement quelque chose qui ressemble à La Grenade ?
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> Est-ce que vous serez influencée, plutôt ?
Je pense que non. Je pense que les bonnes chansons et pour que les carrières soient des carrières saines, il faut être en phase avec ce qu’on fait, avec ce qu’on est et je ne me sens pas du tout capable de me mettre derrière un instrument en me disant il faut que je fabrique la suite de cette chanson-là. Puis de toute façon ça ne marcherait pas. Tout à l’heure on parlait du fait qu’une chanson fonctionne ou ne fonctionne pas, du fait qu’une chanson devienne un tube et je crois que ce qui est magique justement c’est qu’il n’y ait pas de règle. Par exemple, j’adore le fait que Juliette Armanet, que j’adore, ait été connue avec une chanson qui est un piano-voix qui est très lent, très beau, très poétique et qui est surement à l’inverse de tout ce qui fonctionne le mieux dans les charts en France. Et ça, ça me donne vachement d’espoir. Je me dis que peut-être, mon deuxième grand single, ce sera justement un truc qui n’aura rien à voir avec La Grenade et que ce sera tant mieux. Parce que justement j’ai envie que les gens découvrent aussi toutes les facettes de ma musique. Parce que dans l’album finalement, oui il y a des chansons qui ressemblent un petit peu plus à La Grenade comme La Baie ou Nue mais il y aussi plein de choses qui sont à l’inverse de ça, des trucs très dépouillés, très lents. Je n’ai pas envie de n’avoir qu’une unique étiquette.
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> Tu as fait plusieurs scènes, maintenant c’est la tournée des festivals. Qu’est-ce que tu préfères comme une ambiance ?
C’est très différent parce qu’on s’était presque habitués, avec la tournée, à avoir ce public des salles qui vient pour nous, qui nous connait, qui connait les chansons. Moi je suis une très grande traqueuse donc évidemment j’avais le trac avant de monter sur scène mais on savait que les gens qui étaient là nous aimaient, connaissaient les chansons. Et il y avait quelque chose de très confortable dans ça. Là tout à coup on est projetés dans un truc où parfois on joue à 15h00, les gens sont là un peu par hasard parce qu’il n’y a rien qui leur plait trop sur le site à ce moment donc ils viennent mais ils ne connaissent pas trop. Et je me rends compte que ça ressemble à mes expériences passées, en tant que première partie, où j’ai un public devant moi qui ne me connait pas et où j’ai 45 minutes parfois seulement pour les séduire et leur donner envie d’écouter l’album. Au début de la saison ça m’effrayait totalement et je commence à prendre ça comme un challenge et à trouver ça hyper excitant. Mais les deux sont supers.
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> Et petit à petit ça va mieux ?
Oui oui, maintenant je le vois vraiment comme un challenge. Puis en plus de ça il y a quelque chose de très agréable, c’est le côté colonie de vacances. On arrive, on retrouve les copains, on joue à la pétanque… Le truc hyper agréable quand même.
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> Est-ce que la relation que vous avez avec votre public vous donne encore plus envie d’écrire, de faire des concerts etc ? Est-elle déterminante ?
Oui, bien sur, naturellement. Après c’est encore autre chose, parfois même ça me met une pression parce que du coup les gens écrivent « c’est quand le deuxième album ? » et là je fais genre « attendez, j’arrive j’arrive » (rires). Mais non c’est trop mignon, là par exemple je sais qu’aujourd’hui il y a un jeune homme qui a créé un espèce de groupe de fans sur Facebook et il est trop chou, je sais qu’aujourd’hui il m’apporte un cadeau d’anniversaire. Selon les dates je sais qui vient et c’est hyper rassurant parce que les festivals ça reste quand même des espèces de plongeons dans l’inconnu et avoir des visages, se souvenir qu’il y a untel de cette ville qui vient sur cette date-là, c’est hyper encourageant.
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> C’est partout en Belgique ou c’est aussi en France ?
Non non c’est aussi un peu en France (rires) ! Je me suis exportée.
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> Est-ce qu’on sait à l’avance qu’on va avoir un bon concert, un concert délicat ou pas gagné d’avance… ? Tu le disais ça c’est lié au fait que le public n’est pas venu spécifiquement pour nous, mais est-ce qu’au même titre qu’on ne sait pas déterminer ce qui fera un tube, on ne sait pas vraiment comment sera le concert ?
Je crois que c’est encore une fois de la sorcellerie, de la magie. Par exemple je me souviens, on a joué à Beauregard à 16h00 et tout le monde nous disait « ah c’est un peu tôt, ça va être compliqué » et une demi-heure avant il y avait trente personnes devant la scène, je me suis dit « ola ça va être horrible », c’est toujours un peu gênant s’il y a trente personnes et en fait au fur et à mesure il y a plein de monde qui est arrivé et j’étais tellement heureuse et tellement surprise. Je leur ai dit « je ne pensais pas qu’il y allait y avoir une telle ambiance à l’heure du thé » et ils étaient super chauds. Même plus chauds parfois que certains concerts qu’on a fait plus tardivement en festival. Il y a comme ça des super bonnes surprises. Et des mauvaises mais on n’en parlera pas (rires).
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> Est-ce que tu testes des nouveaux morceaux de temps en temps ?
Pas vraiment parce que ça veut dire pouvoir les travailler en répétitions etc, du coup on n’a pas rajouté de nouveaux morceaux. Peut-être à la fin de l’été quand on aura un petit peu de temps. J’espère.
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> Vous travaillez pas mal sur le côté graphique sur scène, avec des œuvres que vous faites vous-même. Est-ce que Clara Luciani c’est la musique mais un jour on la connaitra aussi réellement pour ce qu’elle fait avec un crayon, un pinceau… ?
Je suis très touche à tout parce que ça a toujours été comme ça que j’ai trouvé mon équilibre. J’ai toujours aimé dessiner, écrire, mais je crois que je n’ai pas beaucoup de talent pour le dessin, donc je suis contente de m’en servir comme ça, occasionnellement. On peut avoir des bonnes surprises dans la vie, mais je ne crois pas trop que j’en ferai quelque chose. Mais j’étais trop contente de pouvoir faire ça. J’avais un ami à moi à l’époque, quand j’étais vraiment stressée et que j’étais en guitare-voix, qui me disait « est-ce que tu as essayé de ramener un objet de chez toi, n’importe quoi ? » Lui il se trimballait toujours avec le tapis de son salon et il mettait son tapis, du coup quand il avait vraiment peur, il regardait ses pieds et il me disait « j’ai l’impression d’être chez moi, ça m’aide ». Et moi j’ai réfléchi. Quand on a fait le décor, je voulais à la fois qu’il y ait quelque chose d’un peu spectaculaire et à la fois je voulais que ça me ressemble. Et j’ai eu la chance de rencontrer un ingé lumière hyper créatif avec qui on a réfléchi et j’avais vraiment envie que la première pulsion vienne de moi. Du coup j’ai dessiné des vitraux et lui les a fait imprimer et découper au laser sur des très grands rideaux. C’est super rassurant parce que je fais souvent des petits allers-retours sur la scène où je me mets parfois à les regarder. Je crois que ce soir on n’aura pas la chance de les avoir à cause du vent. C’est drôle parce que j’ai une petite maladie qu’on appelle le tremblement essentiel et je tremble toujours beaucoup et notamment quand je dessine. Du coup mon trait est toujours un peu tremblant et sur les vitraux ça a tellement été bien réalisé que quand je m’approche je vois le petit trait et il y a un truc un peu rassurant dans le fait de se dire qu’on a vraiment créé ça ensemble et que ça me ressemble de A à Z. J’aime bien avoir ces rideaux derrière moi et si je les ai pas ce soir ça va me contrarier.
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> Vous avez parlé de Katerine, est-ce qu’il y a d’autres artistes avec qui vous aimeriez faire des morceaux ?
Plein. Juliette Armanet, Angèle, Françoise Hardy. Déjà ce serait chouette !
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> Vous parlez un peu avec Angèle sur les réseaux… Et du coup il n’y a rien ?
Oui oui mais on est très occupées toutes les deux. C’est un peu compliqué de se voir mais on s’encourage à distance.
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> Merci Clara Luciani d’avoir pris le temps de répondre aux questions de tout le monde.
Photo © Laure CLARENC pour Can You Hear The Music ?