Dimanche 14 juillet 2019, dernière journée au domaine de Candé pour le festival Terres du son. Le soleil est encore présent, et nous sommes toujours aussi impatientes de commencer les interviews. Pour ce troisième jour, ce sont les Tourangeaux LVOE qui ouvrent la bal en nous accordant quelques minutes de leur temps.
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> Bonjour LVOE ! Comment allez-vous ?
LVOE : Bien, très bien !
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> D’ailleurs, on dit « love » ou « L.V.O.E. » ?
Romain : Le canal historique, c’est « love », mais puisque les gens l’ont vu avant de l’entendre, ils ont commencé à dire « L.V.O.E. ». Donc, on peut dire les deux.
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> Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas encore ?
Romain : Le groupe est né en 2015 suite à de nombreuses soirées où on trippait, avec Charles-Elie et un pote, sur l’idée de mélanger des sons acid house, un peu teuf du nord de l’Angleterre, avec des chansons pop et un côté rock, ce qui était plutôt notre came au début. On s’est rassemblés là-dessus et on a fait un EP à l’arrache, à trois. On faisait tout, on était vraiment au four et au moulin. Tout le monde faisait un peu de guitare, un peu de basse, un peu de programmation, etc. Clément et Marine ont entendu et ont kiffé, et ils ont toqué à la porte.
Marine : De là est née la formation live, puis le groupe.
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> Votre EP A Misspelling of Love est sorti en 2015. Pourquoi n’avoir rien sorti depuis ?
Clément : En fait, il y a eu un deuxième EP, mais après coup on l’a trouvé pas très réussi…
Marine : On l’a fait à une période où on était en restructuration, où on tâtait le terrain. Mais là on est en train d’enregistrer un album, qui va sortir bientôt. Et on a fait quelques singles entre.
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> Mais ce deuxième EP, il a disparu d’Internet ?
Romain : Oui, il a disparu. On aimait beaucoup les chansons, mais on n’aimait pas trop ce qu’on avait fait dessus à ce moment-là. Donc une bonne partie des chansons sera sur l’album, mais l’EP en lui-même, on l’a caché car on ne le trouvait pas très réussi.
Marine : En fait, on avait envie de mettre le son du live, le son qu’on avait créé. Mais à ce moment-là, on n’a pas trouvé comment le faire, donc on a décidé de prendre le temps. Et cette année on a enregistré ce qui va devenir un album, et pour l’instant on le mixe.
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> Du coup, cet album vous l’avez enregistré dans des conditions très live, ou avec beaucoup d’arrangements en studio ?
Romain : En fait, les deux. Les programmations et arrangements des machines sont faits en amont, et les prises instrumentales sont quasiment faites en live. Après, on peut toujours bidouiller un peu, mais ça reste très live. Ensuite, il peut y avoir des overdubs sur des chœurs ou des prises de chant. Donc c’est un peu les deux ; il y a le côté « machinesque » qui va donner le côté droit, actuel et moderne, et le côté plus « acoustique » qui va amener l’énergie live.
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> Donc là vous en êtes au mixage. Mais à quel moment vous vous dites que ça y est, l’album est fini, et qu’il faut arrêter le mixage ?
Marine : Quand on sera contents !
Romain : Oui, on ne peut pas donner de date sinon on va se mettre une pression. Mais ça va être vers la rentrée.
Clément : Il faut savoir prendre son temps, et assumer. Je pense que le deuxième EP nous a appris ça ; il faut prendre le temps d’aller au bout de ce qu’on veut faire, contrairement à ce qu’on nous dit aujourd’hui, d’aller toujours plus vite. C’est un peu à contre-courant, mais ça nous a plutôt réussi jusqu’à présent.
Romain : Et puis, on n’est pas en retard. Le groupe dans sa forme actuelle existe depuis même pas deux ans. Je pense qu’un album arrive rarement comme ça, cash, en deux mois. Donc ça sera quand on le sentira.
> Hier on discutait justement en interview de cette difficulté actuelle pour prendre son temps, car l’industrie musicale veut toujours tout très vite. Est-ce que vous ressentez cette pression ?
Marine : Oui, toute la vie est comme ça. Ça se répercute même dans la vie quotidienne.
Charles-Elie : Pas forcément une pression… C’était plutôt de l’incompréhension. Au début, les gens se demandaient si on n’était pas en train de glander. Alors que pas du tout, on a juste une manière d’appréhender et de digérer la musique qui se fait sur un temps un peu plus long.
Clément : C’est aussi un peu le fait qu’on s’autocensure beaucoup aujourd’hui, car on voit beaucoup de choses sur Internet et sur Instagram. Ça donne l’impression que les autres vont super vite, mais finalement c’est plus l’importance de l’image et de ce qu’elle peut traduire, voire trahir, de la réalité. En fait, c’est un piège qui se retrouve dans la musique, mais aussi dans tous les domaines aujourd’hui.
Romain : Ce qu’on ressent effectivement, même si ça reste à petite échelle, c’est une incompréhension. Mais je pense que c’est en train de changer. Il y a six-huit mois on pouvait nous dire « c’est un peu poussif votre truc » car les gens ont eu la sensation de nous découvrir au moment de ce premier EP. Sauf que cet EP, pour nous, c’était vraiment le début du début du début. Le groupe avait quoi ? Deux mois ?
Clément : Il n’y avait même pas de groupe, en fait.
Charles-Elie : Il n’y avait surtout pas de plan quand on l’a sorti. Aujourd’hui d’ailleurs on ne parle plus de groupe, on dit qu’on a un « projet ». Ce qui est un changement de terme qui veut dire beaucoup de choses. C’est un peu ce qui s’est passé au début. Les gens se sont dits « Ah ouais, ils ont trop calculé leur coup. Ils sortent l’EP, c’est génial, ils l’ont fait mixer par un mec au fin fond de l’Ecosse ». Alors qu’en fait, non. On était juste trois mecs et on s’est éclatés à faire ça. Là, au début, on ressentait une petite pression du genre « Ah ouais, ok, faut être prêts ».
Marine : Oui, maintenant on a assumé de prendre le temps de construire notre groupe.
Romain : Je pense que ça fait même partie de notre propos, quelque part, d’arrêter de courir après ce truc qui accélère tout le temps et qui n’en finit jamais. En plus, comme dit Clément, on croit que ça accélère, mais en fait si on prend les gens un par un, ils prennent leur temps pour faire les choses. C’est juste que nous, on est assaillis, abreuvés, d’actualités qui défilent. On a l’impression qu’il y a toujours un truc nouveau parce qu’il y a plein de gens différents qui font des trucs. Mais c’est impossible de faire un album instantanément.
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> Par rapport à la question de l’autocensure, on a l’impression que l’industrie musicale actuelle, portée par la société capitaliste dans son ensemble, est assez dans les extrêmes. Il y a ceux qui en ont marre de l’autocensure, et qui vont parfois même très loin dans leurs propos et leur exposition, et d’autres qui s’autocensurent encore beaucoup. Est-ce que c’est dur pour vous de trouver un équilibre ?
Charles-Elie : Déjà, on n’a pas tous le même tempérament là-dessus ; on a quatre esprits à mettre en commun. Vous parliez de société capitaliste, c’est juste que toutes ces industries-là sont très fortes pour récupérer ces discours militants, pour pouvoir se donner bon teint. Donc on pousse les artistes à mettre en avant ces choses-là, ce qui est bien car ça fait de la visibilité, mais il ne faut pas oublier qui profite de tout ça au final. Et puis, oui, faut sortir de la masse ; donc soit être dans le mutisme total, soit être dans la provoc’. C’est une sorte d’obligation, mais ça fait que du bruit au final.
Romain : Je pense que c’est à grosse échelle, et que nous on ne vit pas ça. J’ai l’impression que ça a sûrement toujours été comme ça, et que c’est juste que là tout est amplifié.
Clément : Oui, le numérique a apporté une liberté d’outils et un foisonnement général, et maintenant il faut que les gens essayent de s’extraire de ce foisonnement.
Charles-Elie : Quand tu regardes avant l’ère du numérique, des groupes faisaient la une des tabloïds tous les jours parce qu’ils avaient sorti une punchline. D’autres, au contraire, étaient vachement plus dans la discrétion, dans l’idée de laisser la musique parler, ce qui était, quelque part, un autre extrême. Je pense que les gens sont pareils, et que c’est juste la médiatisation qui change. Il y a toujours eu des images et de la com’ ; les Rolling Stones n’étaient pas le groupe de grands méchants sexistes qu’on croit, c’était un truc de manager pour les opposer aux Beatles. Donc ça existe depuis toujours ce genre d’image qu’on crée. C’est juste que, maintenant, tout le monde y a accès ; tout le monde a Instagram ou Twitter et peut se prendre à ce jeu-là.
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> Aujourd’hui vous êtes accompagné par le dispositif musical Propul’son. Est-ce que vous avez vraiment l’impression qu’il y a, dans la région, une scène musicale et un encadrement solides ?
Marine : Il y a une scène solide, ça c’est sûr, et de grosse qualité. Après pour l’accompagnement, il y en a, à mon avis, deux types. Il y a l’accompagnement budgétaire. Mais ça, je pense que ça reste de la politique, et les bonnes volontés ont les pieds et mains liés… Très peu de gens en profitent. Cette année, on a la chance de pouvoir profiter de cet accompagnement, donc c’est cool. Après il y a un autre accompagnement, dans la philosophie, dans la manière dont on parle des autres groupes, de la scène. Cela permet de créer une énergie, et une scène locale. Et ça, justement, c’est à nous de nous battre, et de le créer, pour que les structures comme les salles de concert, les associations, les festivals, les dispositifs d’accompagnement et les écoles, poussent là-dedans. On a l’impression que si on ne pousse pas ça, eux vont rester là… On prend parfois ça pour de la passivité car on est véners, on a envie d’y aller, mais après on se rend bien compte que ça reste de la politique. Mais si on pousse, pour le coup ça répond et ça c’est cool. Il faut juste qu’on se mette tous ensemble, la scène locale, les copains, et qu’on y fonce pour retourner la politique.
Romain : Quelque part, c’est pas plus mal qu’il y ait une forme de passivité car, au moins, ça nous laisse l’opportunité d’avoir un propos.
> C’est exactement ce que l’on ressent et c’est ce qui différencie Tours et l’Eure-et-Loir ; en Eure-et-Loir on n’a pas encore cette entraide entre les groupes et politiquement qui permet de créer une effervescence…
Romain : On a pris conscience qu’on est dans une période où il y a une effervescence assez folle à Tours. C’est tout neuf qu’on travaille ensemble, les différents groupes de Tours, mais on essaye vraiment de se réunir pour faire masse.
Marine : C’est surtout un moyen de contrer le discours consistant à mettre les groupes en concurrence, et qui est parfois la mauvaise facette des dispositifs d’accompagnement. C’est important de contrer ça. Sinon toi, tu as le nez dans ton projet, et quand tu es dans un semblant de concurrence, c’est chaud pour le moral. Alors que si tu retournes le truc, tu te rends compte que tout le monde est dans le même bateau. Tu te mets à essayer de trouver des idées, et là tout va mieux. Et ça contre un peu le côté pervers d’un point de vue qui, en fait, n’existe pas si tu n’en as pas envie.
Romain : D’autant plus que ce sont des groupes très différents. C’est pas du tout comme si on faisait tous du garage-psyché, comme la scène parisienne où tout le monde fait la même chose. Là, ce sont des groupes qui ne se marchent pas sur les pieds. Donc l’intérêt est d’apparaître tous en même temps pour dire « Voilà, il y a ça, ça, et ça ». Et après les gens font leurs choix selon leurs goûts.
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> Merci LVOE !
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Photo couverture © Facebook officiel LVOE
Photos interview © Laure CLARENC pour Can You Hear The Music ?
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