Durant le festival Terres du son, nous avons eu la chance de rencontrer Have The Moskovik. Nous avons alors profité pour parler de leur musique, des choix de leurs titres, et surtout de leur implication pour soutenir la scène musicale orléanaise.
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> Le groupe s’est formé autour de 2006, et vous avez ensuite fondé votre propre label, Gropied Records. Etait-ce pour avoir plus de liberté ?
Marcello (batterie) : L’idée, c’était d’être indépendants. Je crois que depuis notre plus jeune âge, on avait tous un petit rêve, celui de créer un label. D’abord pour s’autoproduire, et aussi dans l’idée d’aider d’autres artistes. Donc, on s’est réunis assez rapidement au sein d’une association, qui est devenue notre label. Après, au niveau financier, c’est toujours le même panier. Mais on s’est dit que comme ça, on avait une structure qui pourrait faciliter un peu les choses, notamment au moment du pressage des disques, et de la programmation des concerts.
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> Et le fait de soutenir d’autres artistes, ça doit musicalement être très enrichissant, non ?
Marcello : Oui, tout à fait, c’est très motivant de voir comment travaillent les autres. Mais c’est un petit label, il ne faut pas imaginer qu’il y a beaucoup d’artistes. Il y en a trois, et ce sont des rencontres, des amis musiciens qui avaient envie de sortir un album et qui nous ont contactés pour savoir si on pouvait les aider. C’est vraiment une très petite structure.
Nico (basse) : Ce sont des petits coups de pouce entre amis.
Marcello : Exactement, on ne sort pas des albums avec des milliers de copies. On soigne bien l’aspect graphique et la production des albums, comme des professionnels, mais ce sont des séries très limitées. On n’a pas de distribution, tout se fait en ligne. On met nos albums sous licence Creative Commons car on aime bien que les gens puissent les écouter et les utiliser s’ils ont envie, sans forcément nous demander un contrat.
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> C’est un peu le choix qui s’offre aujourd’hui : rester indépendant ou intégrer un label pour gagner en visibilité, quitte à perdre des libertés.
Marcello : Tout à fait. Il faut dire aussi que dans la région Centre, et notamment à Orléans, quand le groupe est né, il a fallu se faire connaître. Donc pour pouvoir démarcher d’autres labels, il fallait déjà avoir quelque chose de sorti. C’est aussi pour ça qu’on a créé notre propre structure.
Nico : Et je pense qu’on ne voulait pas rentrer dans cette démarche de tour des labels. On savait que l’album sortirait parce qu’on a tous un boulot à côté, et donc les moyens de sortir ça en autoproduction. Et puis on voulait le faire comme ça, nous-mêmes, un peu en DIY.
Marcello : Oui, et pouvoir vraiment soigner toutes les étapes de la production sans avoir un producteur artistique qui nous dit « Non, tu dois changer cette ligne car le disque doit être commercial ». En plus, pour que ça passe à la radio, un morceau doit faire deux ou trois minutes maximum, alors que nous on a des morceaux de sept à huit minutes. Donc ce n’est pas possible.
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> Alors nous, ce qui nous plaît beaucoup dans votre musique, ce sont les titres des chansons et des albums !
Marcello : (rires) Je laisse Nico répondre là-dessus !
Nico : On n’a pas de contraintes, donc c’est vrai qu’on les a nommés un peu comme on voulait. Souvent, ça partait d’une blague, et parfois ça évoque un truc un peu plus profond. Le dernier, Papier Vinyle est un hommage à un copain et à son fanzine d’Orléans. On s’est un peu calmés sur le troisième album, en prenant des extraits des samples pour titres.
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> Et c’est quoi la petite histoire derrière le titre du premier album, Une Simple Théorie des Glaces en Terrasse ?
Géraldine (violon alto) : Bah, on était en terrasse à Orléans en train de manger des glaces, non ? (rires)
Nico : Je crois que c’est le détournement d’un article scientifique…
Marcello : Oui, c’est moi qui avais proposé. On injecte beaucoup d’énergie dans ce projet-là ; même si on n’est pas des professionnels, on fait ça comme des professionnels. Donc, pour le premier album, je voulais proposer un titre en anglais, «A Simple theory of everything» , qui est le nom d’un article scientifique qui résout une équation, entre autres. Mais ça a été boycotté tout de suite par le groupe ! (rires) Donc je crois que c’est Nico qui a proposé qu’on garde « Une simple théorie » et qu’on ajoute « des glaces en terrasse » car c’était un peu déconneur.
Nico : Généralement, il y a un fondement un peu sérieux, une envie de dire un truc, et de l’autodérision pour arriver à quelque chose qui nous correspond.
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> Vous dites que vous n’êtes pas des professionnels. Selon vous, qu’est-ce qui fait que vous n’en êtes pas ?
Ben (guitare, voix) : Simplement le fait qu’on est des amateurs parce qu’on a un boulot à côté.
Marcello : La question est simple, la réponse est complexe… En fait, ce n’est pas nous qui choisissons. Si on vendait des millions de copies, on serait tout de suite des professionnels. Mais la réalité veut que ce type de musique ne vende pas beaucoup. Du coup, on doit avoir une source de revenu à côté. Mais ça nous donne une grande liberté car on a le choix de faire ce que l’on veut.
Nico : Il faudrait vouloir consacrer énormément d’efforts et être à temps plein pour pouvoir en vivre, et être ainsi des professionnels.
Marcello : Et puis, d’un autre côté, le fait de ne pas être des professionnels de la musique, ça permet de ne pas nous lasser. On a vécu d’autres choses, et les bagages qu’on a acquis en faisant ces autres choses, on les injecte dans notre musique. Donc l’énergie qu’on met dans notre musique vient peut-être aussi de là ; du fait qu’on en a chié sur autre chose et que, quand on est en salle de répétition, on fonce. Et voilà, je me suis lâché là ! (rires)
Géraldine : Marcello qui se lâche, ça envoie ! (rires)
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> Vous apportez également un bagage littéraire puisque dans votre troisième album, on entend des lectures de textes, notamment de Marguerite Duras et de Paul Verlaine. Pourquoi ce choix ? Paul Verlaine, c’est pour la musicalité de ses poèmes, ou pour le côté « poète maudit » ?
Ben : Ce sont surtout des coups de cœur, en fait.
Jean Niels (guitare) : Oui, ça vient de choses qu’on lit et qu’on aime. Et le côté « poète maudit », c’est sûr que ça intervient, parce qu’on ne lirait pas n’importe quoi en poésie.
Ben : Un moment il y a eu Aragon aussi…
Géraldine : Parfois, ce sont aussi des coïncidences, comme le discours de Badinter.
Jean Niels : Oui, le discours de Badinter, c’est en écoutant la radio. On est tombés sur un sample qui nous plaisait et on s’est dit « Tiens, c’est génial ce truc-là ».
Géraldine : Il y en a plein d’autres qu’on a trouvé par hasard, mais qui ne collent pas. Ou alors, tout le monde n’aime pas.
Jean Niels : Forcément, on ne prendra jamais quelque chose que personne n’aime.
Marcello : On est très influencés par tout ce qui se passe autour de nous. On est très sensibles à l’actualité. Et on voulait quand même faire quelque chose en français, même si ce n’est pas le cas pour tous les samples.
Géraldine : Oui, mais il y a du hasard aussi ! Charlie Chaplin [Liberty Will Never Perish], on a choisi ce sample-là, et c’est au moment où il y a eu toute la révolution des printemps arabes. Et on ne l’a pas fait exprès. Surtout qu’il a bien marché là-bas !
Jean Niels : Voilà, à la base il y a Have The Moskovik, et le Printemps Arabe s’est inspiré de nous ! (rires)
Marcello : Exactement, il paraît qu’on est très célèbres à Benghazi ! (rires)
Géraldine : Avec un nom pareil, il y en a plein qui pensent qu’on vient de Russie !
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> Pour revenir à Orléans, trouvez-vous qu’il y a une dynamique musicale là-bas ? Car on a beaucoup parlé avec des groupes de Tours qui nous ont dit que la scène musicale était en pleine effervescence chez eux. Ressentez-vous la même chose ?
Ben : Il y a toujours eu une petite guerre entre Orléans et Tours, et je pense qu’Orléans a toujours été en dessous.
Jean Niels : Il n’y a pas vraiment de dynamique parce que quand on regarde le nombre d’associations qui programment maintenant des concerts… Il n’y a pas tant de concerts amateurs que ça.
Géraldine : Il n’y a pas de lieux, surtout…
Ben : Il y a très peu de choses qui aident. Ce n’est pas que les gens ne s’investissent pas, c’est que politiquement c’est compliqué. En fait, c’est très simple, il y a l’Astrolabe qui est la salle d’Orléans fondée par Jean-Pierre Sueur, le maire socialiste de l’époque. Et quand ils ont monté la salle, ils ont interdit à tous les bars de faire des concerts. Ça a duré pratiquement dix ans. Et du coup, c’était compliqué pour les groupes locaux de pouvoir jouer. Car l’Astrolabe, certes ils ont fait jouer quelques groupes locaux, mais pas tant que ça…
Jean Niels : Mais c’est partout comme ça… Les gens ont mis des billes dans des grosses structures et ont retiré le droit de jouer dans les cafés. Combien de bars-concerts ont fermé dans toutes les villes ? Là ça commence à revenir un petit peu, mais c’est encore compliqué.
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> Du coup, vous ne ressentez pas d’émulation avec d’autres groupes d’Orléans, qui pourrait créer une impulsion pour faire comprendre aux politiques que quelque chose pourrait se passer à Orléans ?
Ben : Hélas, non…
Jean Niels : On essaye quand même. On fait venir des groupes orléanais quand on organise des concerts. On tente comme on peut, à notre hauteur, de faire bouger les choses. Mais c’est compliqué, car on a tous un boulot à côté. Donc on n’organise que cinq ou six concerts par an.
Géraldine : Et dans un seul lieu, le 108, sinon on ne peut pas…
Ben : Sur Orléans, on connaît toutes les associations qui programment. Il y a Mora-Mora, Power Poulpe. Mais sorti de là, il n’y a rien…
Marcello : Si, il y a aussi les collectifs pour le jazz car il y a une grosse scène jazz à Orléans, avec des musiciens très pointus qui jouent parfois un petit peu en ville. Mais par rapport à Tours, il y a beaucoup moins de vibrations.
Ben : Bon après, nous on arrive quand même à faire des choses, pour peu qu’on organise.
Marcello : Oui, tout à fait. Et on en revient à la question initiale de pourquoi on a créé notre propre label ; c’est parce que c’est aussi à travers cette association qu’on organise des concerts pour faire jouer d’autres groupes.
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> Merci Have The Moskovik pour cet agréable moment !
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Photo © Laure CLARENC pour Can You Hear The Music ?
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