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Rencontre avec Thylacine ! #pdb15

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Thylacine était présent lors de la première journée de l’édition 2015 du Printemps de Bourges et nous a consacré un peu de son temps pour discuter de sa façon de travailler et de ses envies futures.

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     > L’année dernière tu étais déjà programmé au Printemps de Bourges en tant qu’iNOUïS. Qu’est-ce que ça te fait de revenir là cette année ?

C’est chouette, surtout de revenir dans la programmation officielle, ça veut dire qu’il s’est passé des choses en un an. C’est que ça nous a un peu aidés d’être iNOUïS et que le concert de l’année dernière s’est bien passé vu qu’ils nous demandent de revenir.

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     > Justement, que s’est-il passé en un an ?

Il s’est passé plein de choses et le projet a beaucoup avancé. On a fait plusieurs tournées à droite, à gauche. Là je reviens d’une tournée au Viêtnam et avant on était aux Etats-Unis. Je me rappelle que juste après le Printemps de Bourges l’an dernier, j’avais fait la première partie de Stromae au dernier moment. On a fait les Transmusicales aussi. J’ai sorti un EP en janvier dernier où j’ai eu l’occasion de travailler avec un orchestre à cordes sur deux morceaux. Tout s’enchaine très vite, ce qui est plutôt bon signe.

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     > A propos de ta tournée au Viêtnam, comment es-tu arrivé là-bas ?

Au Viêtnam, c’est notamment grâce au dispositif de soutien du Fair. J’ai été sélectionné et ils ont de très bons contacts avec des Instituts Français un peu partout. Il s’avère que l’Institut Français du Viêtnam était intéressé pour me faire venir. Du coup on a travaillé à faire une petite tournée. On a fait trois villes et ça s’est super bien passé. C’était assez fou, très humain. On a de supers souvenirs de ces concerts.

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     > La culture musicale là-bas doit être différente de celle en France, non ?

Oui elle est complètement différente. Il y a quand même une scène électronique qui monte un peu, après ça dépend des villes, mais il y a une ville du sud à Hô Chi Minh où j’ai joué dans une grosse soirée électro avec des DJ vietnamiens. On a pu échanger, et ça émerge pas mal aussi chez eux. Après ça dépend vraiment des villes. Je suis tombé sur un concert en centre-ville, sur une place publique où tout le monde s’est ramené parce que c’était un concert gratuit. C’était vraiment des personnes de tous bords, de tous âges, et pour la plupart je pense que c’était la première fois qu’il voyait un concert électronique. Du coup c’était hyper fort, ils étaient très contents et ont entouré toute la scène. Il y avait même des gosses sur scène qui dansaient. Ce qui était vraiment bien, c’est qu’on a fait des concerts très différents : des trucs pour la scène électro, d’autres pour la scène populaire avec des gens qui ne connaissent pas du tout ce genre de musique.

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     > Et il y a aussi eu les concerts aux Etats-Unis.

Oui, on était partis d’abord pour le festival SXSW à Austin et on a fait un concert avant au Mexique et deux concerts après à New-York. C’était aussi une super expérience. Le SXSW, c’est quelque chose d’assez énorme avec des concerts partout dans la ville. Et New-York était aussi intéressant. Il y a un des deux concerts par exemple où j’ai rencontré une grande violoniste classique et contemporaine vivant à New-York. On a passé deux jours à faire de la musique ensemble. Du coup on s’est dit qu’il fallait qu’on concrétise ça et on a fait un concert en impro pendant une heure dans un lieu à New-York. C’est ce genre de truc qui m’intéresse aussi, de faire des concerts un peu spéciaux, en improvisation, où il se passe des choses.

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     > Une violoniste, au premier abord cela semble très différent de ce que tu fais. Tu sembles influencé par plein d’univers différents. Tu as fait du saxophone aussi, je crois…

Oui carrément ! J’ai commencé un peu en classique et en jazz et même aujourd’hui j’écoute toujours un peu de classique. C’était super intéressant comme collaboration, ça collait très bien. En plus elle a travaillé dans le contemporain aussi, donc elle a une grande liberté de gestes et de sonorités qui se marie bien à la musique électronique. Justement, ce qui m’intéresse dans les collaborations c’est d’aller chercher des trucs qui m’apportent quelque chose de complètement différent. On a une façon de voir la musique qui est très différente. Par exemple, elle ça va être très écrit. C’est très enrichissant de mêler tout ça. Je pourrais faire des collaborations très faciles comme j’ai fait avec Fakear, ce qui est aussi intéressant parce qu’on se ressemble beaucoup, mais j’aime aussi aller voir ailleurs.

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     > Il y a d’autres collaborations qui te tenteraient ?

Justement j’aime bien les collaborations qui tombent un peu au dernier moment. Là c’était très intéressant le violon, donc peut-être d’autres comme ça. Après là j’ai un gros projet qui va arriver. Je pars composer un CD entièrement à bord du Transsibérien à la fin du mois. Je pars sur dix jours de voyage avec une équipe vidéo pour documenter tout ça. C’est un gros projet que j’ai écrit et qu’on bosse depuis presque deux ans, et là ça va enfin se concrétiser. L’idée de base c’est de s’inspirer de tous les paysages du voyage pour être enfermé dans le train et composer là-dedans. Mais c’est aussi pour rencontrer des gens car il y a un grand mélange de cultures intéressant, et pas mal de musique aussi dans le train. Du coup ça peut être cool parce que ça permettrait de pouvoir enregistrer une vieille dame qui chante des musiques traditionnelles, et de mêler ça avec ma façon de faire de la musique. J’espère qu’il y aura, pendant ce projet, des rencontres et des petites collaborations.

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     > Ça va vers un côté un peu « musique du monde » .

Oui complètement. Pour l’instant, je ne suis pas comme Fakear qui sample vraiment beaucoup de musiques du monde ou autre. J’ai vraiment un aspect de composition où je ne sample pas du tout. Par contre, je fais beaucoup de collaborations avec des chanteuses parce que je trouve qu’il y a une richesse sonore dans la voix qui est assez folle et qui m’intéresse beaucoup. Donc oui, ça va être un beau projet qui va pouvoir mélanger pas mal de choses dont une grande diversité culturelle.

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     > Dans le dernier EP tu as collaboré avec Dyllan. Et j’ai cru comprendre que tu ne l’avais pas rencontrée…

Depuis je l’ai rencontrée pour la première fois après Austin quand on est allés à New-York parce qu’elle habite là-bas. C’est une belle histoire. Elle m’avait envoyé un mail il y a plus d’un an maintenant. On avait travaillé la première fois ensemble sur Distance qui était sur l’EP d’avant. Et là on a réitéré sur Closing. On ne s’était jamais rencontrés, elle m’avait juste envoyé des bouts de voix. J’avais décomposé ces bouts de voix, composé par-dessus et j’ai fait un morceau avec tout ça. C’est une façon de travailler la voix que j’aime beaucoup, vraiment de manière instrumentale et non en se disant qu’on a écrit un truc. Et puis là on s’est enfin rencontrés et elle est hyper adorable. Donc c’est cool, c’est le genre d’aventure qui m’intéresse parce qu’elle est aussi humaine, et maintenant c’est possible grâce à Internet. Ça ouvre beaucoup le champ des possibilités.

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     > Mais n’est-ce pas un peu étrange et frustrant de travailler avec quelqu’un qu’on n’a pas encore rencontré ?

Étrange, ça l’est. Après frustrant, pas forcément parce qu’au final on a quand même pas mal discuté par mail et téléphone. Ça ne me gênait pas et puis au contraire, je sais que quand je suis enfermé dans un studio avec une personne, ce n’est pas forcément là où je suis le meilleur. Donc je préfère laisser une grande liberté à la chanteuse ou aux musiciens et après reprendre cette matière-là et la retravailler. J’ai toujours trouvé ça plus compliqué quand on se retrouve dans un studio en se disant « Bon allez, on fait un truc ! ». Donc le fait que ça soit à distance se prêtait plutôt bien.

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     > La façon de ressentir la musique est-elle très différente quand tu travailles avec des machines et des sons synthétiques que quand tu travailles avec de vrais instruments comme quand tu jouais du saxophone ?

C’est sûr que c’est très différent. Quand je faisais du saxophone, c’était un peu dans le style orchestre donc tu lis une partition. Là c’est vraiment de la composition, donc c’est différent parce que pour moi la musique électronique quand tu la composes, c’est une musique de l’écoute. C’est-à-dire que tu fais quelque chose et que tu l’écoutes derrière. Ce qui n’est pas du tout le cas quand tu es dans un groupe et que tu joues. Evidemment, tu t’entends quand tu joues, mais ce n’est pas la même chose. Quand je compose, je fais des petites choses et après j’écoute et je peux changer de casque pour avoir une nouvelle écoute, me mettre loin dans la pièce, dormir et après le lendemain tu as une autre écoute. On voit si c’est bien et quand ce n’est pas le cas on change. Alors que quand tu joues, et c’est un peu le problème du saxophone, c’est que tu t’amuses, tu vas un peu t’emballer et faire plein de notes et ça peut partir un peu dans tous les sens. Ce qui n’est pas forcément le plus beau ou le plus efficace.

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     > Ça offre plus de liberté.

Oui, c’est totalement différent. Ça permet de casser le fait que pour faire de la musique il faut être bon technicien, il faut savoir vite taper des mains, bien gérer le saxophone, bien appuyer… On n’a même pas besoin de savoir faire du piano. J’ai jamais pris de cours de piano par exemple, et pourtant j’utilise des synthés tout le temps parce que j’appuie sur une note et je sais si ça me plait ou non. Et puis si ça me plait je continue comme ça et j’expérimente des choses. Alors je sais faire plein de choses avec mes doigts certes, mais je n’ai pas besoin d’être un virtuose pour ça. Et même si j’ai envie à un moment que ça aille vite, je peux accélérer avec l’ordinateur ou répéter plusieurs fois pour faire en sorte que ça soit le cas. Je pense que c’est juste une question de plus ou moins bon goût.  Ou en tout cas de savoir écouter et déceler ce qui peut être intéressant. Je pense que c’est une question d’imagination aussi. C’est pour ça que ça m’intéresse de casser avec la pratique très technique de l’instrument.

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     > Autour de ta musique tu développes aussi un aspect très visuel.

Oui. Je suis passé par les Beaux-Arts et ça m’a pas mal marqué pour ça. J’ai beaucoup travaillé sur tous les ponts qu’il pouvait il y avoir entre musique et visuel et musique et art de manière plus générale, donc architecture, danse… Du coup sur le live je ne voulais pas être tout seul avec mes machines, alors c’était l’occasion d’aller un peu plus loin vers quelque chose de plus riche et profond. Je travaille avec Laetitia Bely qui fait la vidéo depuis le tout début. On s’est vraiment posés la question de savoir comment elle pourrait retranscrire ma musique en visuel, surtout de manière live parce que j’ai une grosse part d’impro pendant mes concerts donc il fallait qu’elle puisse suivre tout ça. Elle a une sorte de gros contrôleur où rien n’est programmé, avec plein de matière et elle fait tout réagir en live en fonction de ce que je fais. Je lui envoie aussi du son dans son ordinateur pour que ça puisse réagir directement. Donc c’est quelque chose d’hyper intéressant pour moi parce que la façon dont je compose la musique passe toujours par des images que j’ai en tête. C’est toujours quelque chose qui a rapport avec la musique de cinéma. Et c’est aussi pour ça que c’est assez lié avec le Transsibérien, le paysage et tout. Et puis toutes les pochettes, c’est moi qui les ai faites en essayant de retranscrire la vision mentale que j’avais de ces morceaux. Il y avait des logiques de couleurs, je ne sais pas trop pourquoi, mais quand tu fais des morceaux il y a des couleurs qui apparaissent. Quand il y a des morceaux très doux ça va être des choses arrondies… Il y a des ponts comme ça qui sont intéressants donc j’ai toujours pioché là-dedans et expérimenté, au lieu de juste mettre une photo de ma tête sur un album. Je voulais qu’il y ait vraiment un rapport entre la pochette et le son, entre les clips et la musique, entre les projections live et ce qui se passe sur scène.

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     > Du coup, ça doit aussi permettre de faire des concerts très différents les uns des autres ?

Oui, c’est vraiment le but parce que sinon je m’ennuie à fond. Je ne sais pas comment ils font les groupes qui enchaînent en faisant exactement le même show tous les soirs. Après c’est risqué aussi, parce qu’il suffit que je ne sois pas en forme et le show est moins bien. Mais ça fait partie du truc. Et puis, il y a aussi plein de concerts où il y a des accidents et où, au final, ces accidents s’avèrent intéressants et ce sont des trucs que je peux reproduire après. Pour moi c’est du live, il faut qu’il y ait une interaction avec le public, ça permet de s’adapter au contexte. Il m’est arrivé de faire des concerts dans des petits trucs hyper calmes en après-midi au soleil et du coup de proposer quelque chose de plus planant. Tandis que là, jouer à 23h au Printemps de Bourges, ça va être plus dansant. Donc c’est vraiment bien d’avoir la main sur ce qu’on fait en live et de pouvoir s’adapter en fonction de ce qui se passe, de ne pas être une sorte de produit identique.

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     > Du coup le public a un rôle à jouer dans les concerts donc ça doit créer une relation particulière avec lui, non ?

Oui carrément et ils le ressentent. Ce qui est chouette, c’est que du coup il y a des gens qui viennent me voir, c’est déjà la sixième ou septième fois mais ils savent que ça va être différent. Et évidemment, ils ont une place à jouer parce qu’à un concert sans ambiance, je vais forcément faire quelque chose de moins bien. Après par contre, si c’est parce que tout le monde est assis mais que tout le monde profite, c’est à moi d’adapter et de faire quelque chose qui répond aux gens.

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     > Dans cette idée de visuel, est-ce que composer pour des films te tenterait ?

Pour l’instant je n’ai pas encore eu l’occasion parce que je suis un peu non-stop depuis quelques années, mais oui. Même au tout début, quand j’ai commencé la musique électronique je m’étais dit ça que j’allais rester dans mon studio et faire des musiques de films. Et puis il s’avère que pas du tout parce que j’ai commencé à faire des lives et j’ai adoré ça. Mais c’est quelque chose qui m’intéresse vraiment, notamment quand c’est de la musique qui rajoute vraiment quelque chose au film. C’est-à-dire que parfois, il y a des mecs qui font de la musique de film, et qui le font très bien, mais qui vont juste sur-jouer ce qui se passe : si c’est dramatique, on va faire de la musique dramatique. Mais parfois, il y en a qui vont réussir à rendre intrigante une scène beaucoup plus classique. Et c’est ce travail-là qui me plairait. Il y a des films qui, sans la musique, ne tiennent pas du tout, et ça c’est très fort.

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     > Mais c’est peut être un travail plus contraignant car c’est créer et mettre une musique sur une histoire et des émotions qui ne sont pas forcément les tiennes ?

Bien sûr. Mais ça permet aussi, enfin si le réalisateur est suffisamment souple, de proposer ta propre lecture de ses images et idées. C’est-à-dire qu’il y a une histoire qui se passe, une narration, mais toi tu vas donner ta propre vision de ça. Après ce qui est pratique c’est que c’est un cadre très libre par rapport à un morceau sur un album où il va quand même falloir qu’il y ait un thème qui ressorte, une mélodie qui tienne le morceau. Tandis que la musique de film permet de mettre ça complètement de côté. Ça permet d’être plus fin, plus léger.

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     > Pour en revenir à ton projet, tu as fondé ton propre label. Est-ce que tu comptes l’étendre à d’autres artistes ?

Ce n’était pas le but premier. A la base, c’était juste pour rester indépendant. Je l’ai monté avec mon manager et on s’est rendus compte que plus on avançait, plus les propositions que j’avais à côté ne convenaient pas forcément. C’est un projet assez particulier et lié à l’art. Des projets comme le Transsibérien, ce n’est pas spécialement des choses que les grosses majors vont valider. Donc on l’a fait pour ça mais aussi parce que pour certains projets j’ai besoin d’une grosse structure juridique pour pouvoir les faire. Par exemple, on avait envie de commander nous-mêmes nos CD… C’était purement pour ça au début. Après c’est sûr qu’à terme, on a aussi envie de pouvoir partager les contacts et connaissances qu’on commence à avoir, même si on est encore petits. Pour le moment ce n’est pas encore à l’ordre du jour parce qu’on a pas mal de travail, mais le but serait de pouvoir agrandir la famille, sans pour autant devenir un énorme label avec trente artistes dedans. Ça serait de pouvoir prendre sous notre aile des artistes, quand on sera plus développés, et de les faire profiter de ce qu’on connait.

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Un grand merci à Thylacine pour le temps qu’il nous a accordé.

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Etudiante, je suis une passionnée d'art, et plus particulièrement de musique et de cinéma. Attirée par le milieu du journalisme et de la communication, j'aime partager mes petites découvertes artistiques avec les autres.

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