Sorti le 22 janvier dernier sur le label Wita Records, le premier album de Théo Charaf rencontre actuellement un franc succès ! Délicieux voyage musical accompagné par un blues/folk tantôt élégant, tantôt déchirant, ce premier album offre son lot de morceaux superbes, portés par une voix envoûtante. À l’occasion de la sortie d’une édition vinyle limitée et colorée, nous avons échangé avec Théo Charaf. Au programme : parcours personnel, choix artistique, émotions…
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> Ton premier album est sorti à la fin du mois de janvier et nous pouvons noter un vrai engouement autour de cette production. Tu es régulièrement comparé à de grands artistes comme Neil Young. Comment vis-tu cela, comment te sens-tu ?
Je suis évidemment reconnaissant, plein de gratitude et complètement bluffé par autant de reconnaissance. Je suis inquiet aussi (rires), notamment de voir ce que cela entraîne comme démarches administratives pour se protéger etc. Je n’ai pas l’habitude. Mais je me sens à ma place et je vais faire ce qu’il faut pour aller de l’avant.
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> Te sens-tu frustré de ne pas pouvoir jouer cet album, le présenter sur scène, alors qu’il vient de sortir ?
Oui bien-sûr, comme nous tous je pense. Nous souffrons pas mal de la situation et de la gestion de cette situation. Cet engouement est super cool, tous ces mots que je reçois, toutes ces chroniques qui sont à tomber par terre, mais je ne suis pas vraiment là pour cela. Je suis là pour le reste, la musique, les gens, le public… L’essence même, c’est le partage. Avoir cette énergie en retour dans une salle de concert n’aura jamais rien à voir avec aucun stream ou aucune chronique, aussi bien soit-elle.
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> Pour pallier à l’attente de la reprise des concerts, comment envisages-tu de faire vivre ton album ? Penses-tu de réaliser d’autres clip, par exemple ?
Il y a plein de choses de prévues pour pallier au manque de concerts. Je ne vais pas tout dévoiler mais il y a des vidéos qui sont prévues, j’ai des petits projets qui sont en route. Je commence aussi à réfléchir à la suite de l’album mais cela ne fait qu’un mois qu’il est sorti donc il ne faut pas que je me mette trop de pression. Il y a des choses à faire pour récréer, faire vivre à nouveau la culture, tout remettre en place. Il y a du travail et il y a des projets qui arrivent.
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> Avant la sortie de cet album, tu étais membre de plusieurs groupes. Qu’est-ce qui a motivé la sortie de cet album en solo ?
Je précise que je joue toujours dans des groupes de punk. Je fais toujours du punk, c’est ma vie et dès que les choses reprennent, je repars faire du punk. Mais à côté, j’ai toujours joué seul dans ma chambre. Et c’est Jean-Luc Navette, qui a réalisé la pochette de l’album, qui a fait que j’ai mis ce travail au devant d’une scène et d’un public. Je l’ai rencontré et nous avons sympathisé très fortement, de vrais liens se sont créés. Nous avons eu un projet de groupe avec un membre du Peuple de l’Herbe et un autre de Beaten Brats mais il est tombé à l’eau, puis nous avons commencé à parler de musique folk et je lui ai montré ce que je faisais. Finalement il m’a encouragé à faire de la musique folk seul. C’est lui qui a tout lancé. Il m’a enregistré, il m’a donné confiance en moi. Il m’a ensuite fait découvrir à plusieurs de ses amis et notamment à Cédric Béron, qui est devenu mon sondier et mon tour-manager et sans qui je serai perdu.
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> Comment passe-t-on du punk, au blues, à la musique folk ? Et pourquoi se lancer dans un album solo blues/folk ?
Avant de faire du punk je jouais déjà de la guitare chez moi. J’enregistrais déjà des petites chansons pour me décharger de certaines émotions par exemple, et comme le font beaucoup d’artistes. Puis je fais déjà du punk, alors que je n’avais encore jamais développé cet autre aspect de moi, de ma vie. Je n’avais jamais osé la montrer et c’est finalement ce qui s’est passé.
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> Cet album aborde des sujets assez sensibles, assez sombres. Sa réalisation était-elle, pour toi, un moyen d’extérioriser des émotions, de mettre des mots sur des angoisses, d’exprimer des incertitudes, des doutes… ? Et pour toi, est-ce que le blues, la musique folk, te permettent de mieux exprimer tes émotions ?
Oui, il y a toujours cette dimension et depuis que je fais de la musique j’essaye de le faire. Au début, c’était par du punk absurde mais il y avait toujours une forme d’expression derrière. J’ai toujours fait cela pour me décharger, me défouler, que ce soit physiquement ou avec un côté cathartique avec la rage, les frustrations, la tristesse que nous pouvons ressentir en tant qu’être humain. Il y a toujours cette dimension, que ce soit dans le punk ou dans la folk. Dans le punk c’est beaucoup de rage, de tristesse enragée, et en folk il y aura effectivement un peu plus de finesse, de spiritualité, plus de profondeur. En tout cas, il est davantage bienvenue d’étaler ses états d’âme sur de la folk que du punk, étant donné que le public s’y prête d’autant plus.
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> As-tu la sensation d’aborder la musique autrement lorsque tu écris du punk ou de la folk ?
Sans doute oui. Il y a peut-être un peu plus de boogie, de dimension festive dans le punk. Même si, par exemple, j’écris que je déteste ce qui est en train de se passer dans mon pays, il y a toujours une volonté de faire quelque chose de catchy, d’entraînant. Alors qu’en folk je peux davantage m’attarder sur la mélodie, le côté lancinant, un peu douloureux. Alors oui ce n’est pas la même façon d’écrire, même si nous pourrions trouver en commun un certain minimalisme. Que tu écoutes les albums de punk que j’ai pu faire ou cet album-là, il y a plusieurs choses en commun : j’écris des chansons courtes, avec très peu d’arrangements parce que je ne sais pas du tout comment on fait.
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> Tu es un artiste autodidacte. Qu’est-ce qui a motivé ton désir de devenir artiste et d’en faire ton métier ?
Pour être honnête, j’ai fait un an de cours dans une MJC mais au bout d’un an, j’avais dépassé le niveau de mon professeur. Puis j’ai fait deux ou trois petits cours à droite à gauche. Mais en majorité, je suis plutôt autodidacte oui. Sinon j’ai toujours été vraiment très attiré par la musique et c’en est presque une malédiction puisqu’il n’y a que ça qui me remue les tripes. Tout le reste a tendance à très vite m’ennuyer. C’était naturel pour moi de m’orienter vers ce la musique. Effectivement, pendant longtemps, tu ne penses pas que tu puisses en vivre, parce que quand on te demande ce que tu veux faire dans la vie et que tu réponds « de la musique » on te redemande ce que tu veux vraiment faire. Ce n’est pas très engageant. Mais je suis une vraie tête de mort, je n’ai rien lâché. J’ai commencé à faire de la musique seul avec ma guitare, puis j’ai ensuite rejoint Les Barneurs, avec qui nous avons monté tout un projet punk, pour le plaisir, l’amusement, la catharsis, le défouloir… dans un premier temps. Puis le projet a plu donc nous avons commencé à faire de plus grosses scènes, des festivals. Et je me suis rendu compte que le fait d’aller plus loin était jouable, que ce n’était pas du tout un hobby, même si je ne l’avais jamais considéré comme tel et que ça n’avait pas a être considéré comme tel. Puis ensuite est arrivé le projet Beaten Brats, avec qui nous avons encore augmenté la gamme des concerts et commencé à gagner un peu d’argent. En parallèle j’ai fait un remplacement avec Les Scaners et ma première tournée. Et si je dois mettre le doigt sur le moment qui m’a fait dire que j’étais à ma place, ce serait celui-là. Nous sommes partis en Espagne 4 jours et j’ai connu ce qu’était une tournée, ce que signifiait le fait de jouer dans de vraies salles, d’être payé, reconnu et estimé pour cela. Il y avait des gens autour de moi qui y arrivaient, alors pourquoi pas moi ?
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> La musique folk et le blues sont plutôt des styles originaires d’Amérique. As-tu déjà joué là-bas ? Est-ce une source d’inspiration pour toi ?
Je n’y suis allé qu’une seule fois et c’était très récemment, en novembre 2019. Nous sommes partis en tournée avec Les Scaners, nous avons fait toute la côté Ouest, de Los Angeles à Seattle en passant par Phoenix en Arizona. Je me suis subitement retrouvé propulsé dans un désert et des grandes villes avec des skylines… ce voyage a été incroyable, une énorme baffe pour moi. Mais j’avais déjà écrit et enregistré cet album avant. Ce n’est pas ce voyage qui m’a inspiré. Dans l’imaginaire oui, les grands espaces, la nature, la raréfaction de la présence de l’homme… ce sont des choses qui me portent. Quand j’écoute des bluesmen, Alan Lomax, de vieux enregistrements des mecs de l’époque perdus dans la plaine avec une planche en bois, trois cordes et personne d’autre à qui parler en dehors de ce qu’ils considèrent comme dieu… tout cela a du sens. L’expression de la musique et de l’art a aussi une tout autre importance. Mais c’est une autre histoire. Au delà de la nature et des lieux… pour moi le plus grand acte de résilience qu’il n’y ait jamais eu ce sont des hommes qui se font frapper à longueur de temps, fouetter, tuer, exploiter, parce qu’ils ne sont pas de la bonne couleur, qui arrivent à chanter en même temps et qui, par là, expriment la douleur avec une intensité encore jamais égalée à mon sens.
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> Quand le COVID sera derrière nous, aimerais-tu aller jouer ton album en Amérique ?
Sans doute, bien sûr. Mais est-ce que j’ai les tripes pour aller me confronter aux vrais (rires) ? Je ne sais pas. Ils ont une technique incroyable ! Ils n’avaient pas Internet, ni Netflix… pour les détourner du droit chemin. Ils avaient encore le luxe de s’ennuyer malgré la situation. Ils travaillaient vraiment leur projet, ils avaient une technique de dingue et moi je suis loin d’avoir cette technique. La mienne est très minimaliste. J’ai peut-être une intention juste et c’est ce qui prime pour moi mais je pense que je ne ferai pas forcément le poids face à ces « monstres » que sont quasiment tous les Américains que j’ai pu croiser. Mais sinon oui, j’ai envie d’aller jouer absolument partout.
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> Sur ton album, tu reprends justement quelques titres de ces grands artistes. Comment as-tu choisi les morceaux que tu reprends ?
Ce sont des morceaux qui me sont venus au fur et à mesure de ma vie. Par exemple, Jean-Luc Navette m’a fait découvrir le titre de Townes Van Zandt, avec un clip incroyable que j’ai partagé il n’y a pas longtemps et qui présente Townes chez lui tout seul avec un ami et sa copine, ils jouent et son pote se met à se pleurer. La vidéo et la chanson m’avaient beaucoup touché. Donc je l’ai repris. Concernant le morceau Devil Got My Woman, je l’ai entendu arriver de nulle part, dans une playlist, pendant que je travaillais et je l’ai trouvé tellement incroyable, juste, pure, que je me suis dis que ce ne serait pas une mauvaise idée d’aller dans cette direction à l’avenir. Pour ce qui est de Hard Time Killing Floor, c’est un morceau qui m’a toujours parlé et qui a pris une certaine résonance avec le décès d’un ami. Puis Oh Sister est un duo que je voulais faire depuis très longtemps avec une amie mais nous nous étions perdus de vue et il s’est avéré qu’elle avait enregistré chez Hervé Bessenay, qui a enregistré l’album. On a rigolé en se disant que le monde était petit et comme je voulais quand même faire cette reprise, il m’a présenté à sa fille qui était dans le coin et nous avons essayé. Donc j’ai rencontré Léna, nous avons chanté ensemble, c’était mortel et nous avons gardé le titre. Ce ne sont vraiment que des accidents.
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> Aimerais-tu reprendre d’autres chansons, d’autres titres qui t’ont marqué par le passé ?
Il y a plein de morceaux que j’aimerais reprendre et que je vais reprendre. Et si je devais t’en donner qu’un, actuellement je dirais A Change is Gonna Come de Sam Cooke. Je suis en train de travailler dessus et ça me rend dingue de ne pas réussir à pousser cette première note. J’arriverai à le jouer un jour !
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> Quels sont les artistes que tu écoutes le plus en ce moment et que tu aimerais partager, dans le but de faire découvrir tes horizons musicaux aux lecteurs et aux lectrices de Can You Hear The Music ?
En ce moment j’écoute souvent les trois morceaux qu’a sorti Thaïs Lona, une artiste lyonnaise qui fait une sorte de néo-soul très dans l’air du temps et qui n’a rien à voir avec toutes les influences que nous avons évoquées. Je l’ai rencontré aux iNOUïS du Printemps de Bourges et je trouve que c’est énorme. Je l’ai vu sur scène et c’est d’autant mieux. Au quotidien, j’écoute vraiment beaucoup de choses. J’ai des milliers de vinyles et je n’écoute que ça. Je pioche dedans en permanence. C’est très varié. J’écoute forcément beaucoup de Neil Young… Et sinon en ce moment j’écoute également beaucoup de reggae pour me détendre, du rock steady, du ska… Je mets aussi beaucoup de dub et énormément de soul et de blues.
Un grand merci à Théo pour cette interview passionnante et ce très bon moment passé en sa compagnie ! Merci également à Marina d’avoir permis cet échange.
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