Le 16 juin prochain sortira le deuxième album du groupe The Dukes, dont on vous a parlé il y a peu. L’occasion pour nous de rencontrer les deux membres fondateurs, le guitariste et chanteur François « Shanka » Maigret, et le batteur Greg Jacks, et de découvrir l’envers du décors.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la conception de Smoke Against the Beat ?
Greg : On s’est dit que ça pourrait être fun de l’enregistrer en Californie. J’y vis la moitié du temps, et puis, c’était pour nous un rêve de gosse d’enregistrer un album rock’n’roll aux États-Unis. Quand t’es musicien rock, il y a trois endroits dans le monde où tu te dois de faire des albums si tu en as les moyens ; l’Angleterre, les États-Unis et la Suède.
François : C’est pas si tu as les moyens, c’est si tu te les donnes !
Greg : Exactement ! L’album précédent, on l’avait fait à Umeå en Suède à côté du cercle polaire. Et là on s’est dit que ça pourrait être cool de le faire par 30 degrés et non -30 !
François : D’ailleurs, si t’écoutes très bien Resilient Lovers, à un moment donné t’entends « Grrrrrrrrr ». C’est un ours blanc ! (rires)
Greg : J’ai rencontré Jamie Candiloro, un New-yorkais super cool qui a travaillé avec nous comme ingénieur du son. Connaissant François, je me suis dit que ça pourrait marcher tous les deux. Il était d’accord et a mis la logistique en place pour séjourner à Los Angeles. Voilà pourquoi on s’est retrouvé en Californie.
François (levant la main) : Moi, moi ! C’est juste pour dire que j’aime bien cette blague… On a d’abord enregistré en Californie et ça a été mixé en…. Wallifornie ! En Belgique, avec Charles de Schutter.
Et est-ce que justement, la façon de concevoir la musique change beaucoup d’un pays à l’autre ?
François : Étant un être sensible, je trouve que le milieu dans lequel tu enregistres, le studio, la ville, le climat, le paysage, les gens, vont influencer le recording car c’est un travail humain. On l’a vu à Umeå en Suède et aussi à Los Angeles où, pour le coup, le climat et les gens sont radicalement différents. C’est parfois dur de mettre des mots dessus, de dire que tel accord sonne comme ça parce qu’il fait beau. (rires) Mais c’est clairement réel, on l’a vraiment ressenti.
On dit que le public français est plus réservé pendant les concerts. Comme vous avez tourné pas mal en Europe avec le groupe The Subways, est-ce que vous avez ressenti la différence entre les pays ?
François : Je dirais qu’en France, ça dépend beaucoup du taux d’alcoolémie. Un festival en Normandie, à 01h00 c’est très rock’n’roll ! (rires) Mais à mon sens, surtout en Allemagne, on trouve une certaine candeur du public. Ils ne se posent pas de questions. Si ça leur plaît alors ils rentrent dans le concert. C’est pas parce que c’est la première partie, qu’ils ne vont pas crier, taper dans les mains. Il y a une certaine innocence du public que, je pense, le public français a un peu perdu. La France est un pays un peu gâté par une overdose de salles de concert et de festivals. On note une différence. Par exemple, le public belge est tout simplement plus rock’n’roll. C’est dans leur culture. Il est tout de suite enthousiaste si c’est bien. Mais si c’est pas bien….
Greg : …ils te pètent la gueule !
Étant donné que le premier album avait été bien accueilli par les critiques, et le public, est-ce que ça vous met la pression de sortir un nouvel album ?
Greg : J’ai envie de te dire, c’est toi qui nous l’apprend que ça a été bien accueilli ! (rires)
François : Nous on était tellement le nez dans le guidon qu’on ne s’en est pas vraiment rendu compte. On envisage le projet comme un truc à long terme. Si ça prend pas sur cet album, ça sera le prochain. C’est pas un one-shot. Il y a un nombre de paramètres tellement énorme qu’on ne peut pas tout contrôler, par exemple, la tendance du moment, ou un accident, ton label qui met la clé sous la porte. On reste sereins. De toute façon, on sait faire que de la musique. Après, je te dis pas qu’à un moment on va pas se décourager, car ça peut arriver à tout le monde. Mais pour le moment, ce n’est pas à l’ordre du jour.
Puis il y a beaucoup de groupes maintenant. C’est peut-être plus difficile de se faire une place dans le milieu musical.
François : On peut même parler d’une compétition à couteaux tirés, renforcée par la culture du chiffre qui a été amenée par Internet, les réseaux sociaux. Cette culture sied aux imbéciles, malheureusement majoritaires. C’est complètement stupide car la plupart des têtes d’affiches aujourd’hui, des groupes très bien installés, ont débuté avec vingt personnes seulement. Entre tout ça, on essaye de mener notre petite barque. Pour l’instant, un peu à la Hannibal Smith, le plan se déroule sans accrocs.
Est-ce que vous réfléchissez déjà à un troisième album, à de nouvelles chansons ?
François : J’ai un petit verrou psychologique là-dessus tant qu’on n’a pas commencé à partir dans la tournée et à tirer des leçons. Je continue à composer tous les jours. Mais pour l’instant avec The Dukes, on s’éclate plus à arranger des reprises pour le live.
Greg : L’enregistrement s’est fait avec beaucoup de plaisir. Mais derrière, on a travaillé très dur pour l’amener où il en est aujourd’hui, avec une signature qui nous permettra de travailler. Victory a eu une vie tellement courte pour nous, malheureusement. Donc sur Smoke Against the Beat, profitions en ! Repartir en composition maintenant ça enlèverait le fun. Nous avons la chance de pouvoir aller défendre l’album sur de nombreuses dates. Peu de groupes de notre acabit arrivent à se retrouver programmés aux endroits et horaires où nous sommes, avec une visibilité sur plusieurs mois. Il faut être hédoniste et profiter de tous les bonheurs à venir ! On va enfin rencontrer notre public français car pour l’instant on a fait que trois concerts en France ! Un à la Maroquinerie en support de The Subways, un pour une soirée Custom des Inrockuptibles et un au Grand Mix. Là, notre tourneur a su faire preuve de beaucoup de persuasion. Après j’ose espérer que l’album aussi a convaincu et que ça n’a pas été uniquement des faveurs sexuelles de sa part, le pauvre ! (rires)
François : Tout tourne autour de ça ! Tout ceux qui disent que c’est pas vrai, c’est des menteurs !
Greg : Se retrouver à jouer au festival du Chien à Plumes avec Skip the Use, au Brussel Summer Festival, ou au Chant du Gros en Suisse entre Alpha Blondy et Shaka Ponk, c’est monumental ! Et les clubs commencent déjà à se manifester pour l’automne 2014. On n’a pas le droit de tout annoncer, mais c’est dans les tuyaux. C’est génial l’engouement qu’il y a autour du projet !
Pendant qu’on parle de la scène, vous devez bien avoir quelques anecdotes à raconter ?
François : Sur la tournée avec les Subways, Josh leur batteur qui nous fait les lumières, c’était quand même improbable ! Ou le fameux concert dans le club dans lequel ont démarré les Hives. A un moment donné, j’avais plus de son avec la gratte, je l’ai balancée et j’ai grimpé au plafond !
Greg : Il y a plein de petits trucs rigolos. Josh est même venu faire un morceau avec nous à la gratte, en Belgique. Et sinon à Munich, à chaque fois que les gens applaudissaient à la fin d’un morceau, on se dessapait. Donc on a fini en petite tenue…mais en petite tenue quand même !
François : On a gardé notre vertu !
Vous avez un petit rituel avant de monter sur scène ?
Greg : Maintenant il y a une check-list de pilote d’avion, pour pas avoir de problème !
François : Pas vraiment, je ne suis pas sujet au stress. Il fut un temps où j’étais consciencieux, je me chauffais la voix et tout. Maintenant c’est un peu, je bois une bière, je fume une clope puis j’y vais. Let’s go ! Je suis plus dans les rituels de préservation du matériel. Parce que c’est notre matériel, notre investissement. Je suis plus fétichiste. J’aime bien mettre plein de trucs sur mon matos pour marquer mon territoire ! (rires)
On a eu la chance de pouvoir écouter votre nouvel album en avant-première. Les titres sont très énergiques, explosifs. Quand on les écoute, on les imagine bien sur scène. Est-ce que quand vous les composez, vous pensez à ce que ça va donner en live ?
François : De plus en plus. Le premier album, c’est un peu compliqué parce que t’as jamais joué en concert, tu testes des trucs. Là, à la lumière du premier album et des tournées, on a vu ce qui marchait ou pas. Et pour nous, et pour les gens. On a fait le bilan, donc forcément on avait ça en tête quand on a fait le deuxième. D’autant plus qu’on a pris conscience de l’importance de la scène qui aide le disque, la radio et les médias.
Vos concerts sont presque ce que l’on pourrait appeler des petits spectacles. Il y a les jeux de lumières, les vidéos, et pleins d’autres choses encore ! Comment vous les préparez ?
François : C’est du temps, de la bonne volonté et de l’apprentissage. Je me suis auto-formé à ça en autarcie, grâce à Internet mais aussi grâce aux contacts humains, aux conseils. Frah des Shaka Ponk a été adorable et nous a carrément filé un vieux vidéo-projecteur pour faire nos essais. On a réussi à monter le truc en six mois, un an. En tant que petit groupe, il fallait aussi voir ça d’un point de vue pratique pour que ça soit vite installé, vite enlevé, et que ça tienne dans un van. Mais c’est super intéressant de s’essayer dans les contraintes, ça demande à être inventif.
Greg : Sans beaucoup de moyens, tu peux pas débarquer avec des écrans vidéos qui ont grave de la gueule. Si c’est pour tirer un pauvre petit drap ou faire ça de manière bringuebalante, ça n’en vaut pas la peine. On n’est pas dans le registre où une maison de disque paye un tas de personnes pour faire une créa. Qui peut mieux que François décrire notre projet ? Non seulement il y a une trame commune entre l’album, les visuels et la vidéo-projection, mais il y a aussi le fait de projeter sur notre grosse caisse, sur les amplis qui est original, ça raconte une histoire avec plein de métaphores. Comme dit François, notre grosse caisse semble ronde, donc quand t’ouvres un œil dessus avec le visuel, c’est magique. Et à un moment, on aime ou on aime pas, mais faut reconnaître le travail qui va derrière. Pareil, il y a une vraie créa lumière. Je crois qu’on doit être le seul groupe en développement en France à se balader avec ce qu’on appelle des automatiques sur la route, c’est-à-dire des lumières qui sont normalement réservées à l’élite, pour présenter une sorte de spectacle.
François : Enfin, un spectacle…C’est pas non plus Robin des Bois ! Dès le départ on a pensé ça comme évolutif. Là on a une version 1.0 et peut être que dans six mois on passera à la 1.1. Mais on se démarque des groupes comme Shaka Ponk qui sont dans une démarche beaucoup plus technologique. Tout part de feuilles de papiers, de crayons. Avec peu de moyens, on arrive à faire des choses surprenantes ! C’est quelque chose d’artisanal auquel tu donnes vie sur scène avec un tout un système. Ce n’est pas une débauche de moyens qui ne touche que les imbéciles.
Les dessins ont aussi été utilisés pour le clip de Grey People. Finalement, tout votre univers dépasse le simple stade musical et devient un véritable univers artistique. D’où vous est venue l’idée de mélanger la musique à d’autres formes d’art comme le dessin ?
François : C’était vraiment la boîte de Pandore. Très vite j’ai voulu faire l’artwork de l’album moi-même parce que notre musique était personnelle alors je voulais essayer de lui donner vie visuellement. En plus, le visuel c’est le premier truc qui t’arrive, avant même d’appuyer sur play. Ce n’était pas gagné parce que je n’ai pas fait d’école d’art. J’ai commencé par le dessin, puis le dessin animé, les films d’animation, jusqu’aux masques et vidéos pour la scène. En fait, c’est juste un fil d’Ariane qu’on a suivi. Pour le clip de Just In Case, j’ai tout fait en stop-motion avec des poupées d’animation, à base de Google pour savoir comment faire. Mais j’ai failli abandonner parce qu’au début, je ne comprenais pas ! Rien que faire marcher le personnage sans qu’il se pète la gueule. Mais j’ai fini par capter comment faire, le fixer par les pieds à une table d’animation dans laquelle tu perces des trous. Chez moi, c’était la guerre ! Après, j’ai trouvé ça cool de brancher des dessinateurs BD qui se réapproprient le truc en faisant des choses que tu ne maîtrises pas. Côté musique à force, on connaît un peu le métier, même si on prend toujours autant de plaisir à le faire, et puis il y a des limites à l’expression. Là, on débarque dans de la création multi-dimensionnelle où on ne connaît rien à rien, il y a tout apprendre, c’est super excitant. Là tu te poses vraiment des questions sur ce que tu as à dire en tant qu’artiste. C’est toi à 100% avec tes défauts, tes qualités. Je pense que c’est plus à même de toucher les gens. Tu te dis il dessine comme une merde, mais c’est touchant ! (rires)
C’est ce qui manque beaucoup dans le monde aujourd’hui. Maintenant, il faut rentrer dans des cases…
François : Exactement ! C’est beaucoup plus formaté. Notre stratégie sur le projet est que tant qu’à y aller, autant y aller à fond, à notre façon et avec notre différence. Je veux dire, t’es un kamikaze japonais, tu ne mets pas le frein à main quand tu vas balancer ton avion sur un bateau américain.
Tout à l’heure, vous avez évoqué le clip de Just In Case. Est-ce qu’il y a déjà une date de sortie programmée ?
François : Je pense qu’on va le balancer un ou deux jours avant la sortie de l’album. Là il est en post-production, donc plus entre nos mains. C’est les dernières finalisations techniques pour que ça soit diffusable.
Vous êtes également le créateur de Smoki, être mi-loup, mi-crocodile. Comment est-il né, et comment est-il devenu en quelque sorte l’emblème du groupe ?
François : C’était un soir neigeux dans les Vosges, pendant les vacances de noël. Des petits personnages comme ça, j’en faisais vachement quand j’étais pré-ado.Et là, peut être parce que j’étais en famille, j’ai reconnecté avec celui que j’étais. J’ai aucun niveau en dessin, c’est assez naïf, mais je me suis lancé là-dedans, avec mon vécu d’adulte et plein d’idées esthétiques qui vont de Jean Cocteau à l’abstrait. J’ai commencé à faire le clip de Grey People, avec à peu prés 800 dessins. Smoki est venu comme ça. Ensuite, j’ai commencé à faire sa marionnette d’animation, puis un print 3D. Et puis derrière, j’ai fait aussi d’autres personnages, des méchants. Je suis allé à l’expo de Hey ! à la Halle Saint-Pierre, et j’y ai vu un artiste qui faisait de fausses action figures. Du coup, ça m’a tenté, j’ai détourné des emballages de jouet et j’ai mis des fausses action figures dedans.
Et maintenant Smoki est partout. C’est un peu un nouveau membre du groupe.
François : Il a sa place sur scène avec nous, c’est notre mascotte. Il correspond bien à l’esprit global du projet entre ombre et lumière, fun et inquiétant. C’est un peu Alice qui se jette dans le miroir puis en ressort. Quand j’étais plus jeune, j’ai été hyper marqué par l’univers de Franquin. A la fois par Gaston Lagaffe, limite baba cool, et par Idées Noires qui est hyper glauque. Dans le clip de Grey People, il y a des plans super weird, monstrueux qui tendent un peu vers le Charles Burns. Toujours avec ce côté fait à la main, indie, rock. L’artisanal, c’est ma culture et c’est pour ça que je ne veux pas tomber dans le côté hyper technologique, 3D. Pour te donner une comparaison, c’est un peu la différence entre les effets très analogiques utilisés par Terry Gilliam, un milliard de fois plus poétiques et terrifiants, et un méga monstre en 3D qui sent le fake.
Greg : D’ailleurs, si tu regardes bien les masques qu’on a, il y en a un inquiétant et un plus cool, plus fun. C’est plus intéressant de ne pas être toujours d’un même côté, de surfer un peu à droite, un peu à gauche.
Ces deux côtés s’entendent aussi dans votre musique parfois plus calme, parfois beaucoup plus pêchus, explosive.
François : L’écriture peut raconter des trucs sombres, colériques, négatifs. Mais à l’inverse, il y a aussi des grands moments de bonheur. Globalement, l’idée était de faire un truc avec une énergie super positive ! C’est pareil, pourquoi on va faire des disques à l’étranger ? Évidemment à titre personnel pour raconter une histoire avec le projet, parce que le lieu influence l’enregistrement. Mais aussi, parce qu’on s’en donne vraiment les moyens. On est malin, on se débrouille, et on arrive à faire aboutir notre projet. Lorsque aujourd’hui on croise trop de musiciens qui baissent les bras à cause de la compétition et du manque d’argent. C’est vrai que c’est plus dur, ce qui marche maintenant c’est beaucoup plus commercial. Par exemple, il n’y a presque plus de magazines spécialisés dans un style de musique en particulier. Et c’est toujours les mêmes artistes en couverture.
Greg : Mais nous on continue, et si ça plaît, on est content !
Merci à The Dukes pour nous avoir accordé un peu de leur temps et permis d’en apprendre un peu plus sur leur projet !
www.thedukesmusic.com
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