Le compte à rebours est lancé avant la sortie, au printemps prochain, du nouvel album de la talentueuse Awa Ly. Peu après la mise en ligne du premier extrait, l’excellent Let You Down, la jeune femme a échangé avec nous, dévoilant ainsi les coulisses de la création de Five and a feather. Un échange des plus agréables à découvrir sans plus attendre !
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> Ton album Five and a feather est prévu pour le printemps 2016. Pas de date plus précise pour le moment ?
Five and a feather devrait être dans les bacs entre le 15 et la fin du mois de mars. On était en pourparlers avec un distributeur, mais comme le contrat n’est pas encore fixé, tout peut changer du jour au lendemain. Jusqu’à présent, on a pratiquement tout fait en tant qu’indépendants, et même là, ça ne sera vraiment qu’un contrat de distribution.
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> C’est vrai que tu fais beaucoup de choses indépendamment. Tu avais notamment financé ton précédent EP via le crowdfunding.
Exactement. Pour les vidéos promo et tout ce qui concerne le pressage du CD, on a demandé de l’aide aux internautes qui ont été très réactifs. Mais j’ai aussi eu la chance d’avoir un mécène qui a financé la production, les enregistrements, les voyages pour aller enregistrer à Berlin, et toute la logistique.
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> Comment t’était venue cette idée ? Pour une raison pratique, ou pour pouvoir garder ton indépendance ?
Les deux, je dois dire. C’était aussi bien pour l’indépendance, car on n’était pas partis voir de label pour l’EP, mais également parce qu’en étant indépendants, les moyens sont très limités et je ne voulais pas que le mécène paye tout. Le crowdfunding, quand il est bien utilisé, est vraiment devenu une ressource fondamentale pour les artistes indépendants. Si ton projet plaît, il n’y a pas de difficulté à remplir la jauge. C’était ma deuxième expérience avec ce fonctionnement. La première date de 2012 et avait très bien fonctionné. J’avais eu 100 000 euros sur My Major Company, mais je n’avais finalement pas signé avec eux pour diverses raisons. J’ai donc fait rembourser tout le monde. Mais cela a quand même été une très bonne vitrine car je n’étais pas connue en France à ce moment-là. Or, beaucoup de ces ex-contributeurs m’ont retrouvé sur kisskissbankbank où 10 000 euros étaient demandés, et on a même dépassé un peu.
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> Tu n’as pas eu envie de renouveler l’expérience pour ce nouvel album ?
On y a pensé, et ce n’est pas dit que ça ne se fasse pas car on est toujours indépendants. Mais c’est vrai qu’on a eu de bons retours par rapport à l’EP qui nous ont permis d’investir de nouveau, et le mécène nous a donné un autre gros coup de main pour l’album. Toute cette partie financière est non négligeable et indispensable pour pouvoir parler de musique et d’art en général. Même si ça ne devrait pas être la chose la plus importante, c’est nécessaire si tu veux arriver aux personnes. On a une équipe d’attachés de presse qu’il faut payer pour qu’ils puissent vivre eux aussi. C’est tout un circuit qui bouge autour de la musique. Quand on parle d’industrie, je m’y suis ici vraiment confrontée. Il y a des choses que tu ne peux pas faire parce que tu n’en as pas les moyens, et tu ne peux pas toujours demander des faveurs, bien qu’on ait dû en demander énormément nous ! (rires) Mais on a des supers potes très talentueux qui soutiennent le projet et qui travaillent, disons, pour un moindre coût.
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> Le crowdfunding, ça doit aussi permettre de créer un lien non négligeable avec le public ?
Oui, ça te construit une base de personnes qui te suivent et croient en toi au point de te soutenir et d’investir financièrement, c’est-à-dire au point d’acheter en avance un disque qui n’est encore qu’au stade de production. C’est une marque de confiance énorme ! Je suis tellement touchée et pleine de gratitude par rapport à ça ! Ils me permettent de vivre de ma passion et ça me donne beaucoup d’espoir. Il y a un lien très fort qui se crée, et ce n’est pas que pour une histoire de sous, car après les gens te suivent aussi sur les réseaux. J’aime beaucoup communiquer avec eux. Mais cette marque d’intérêt, je ne la donne pas pour acquis. C’est vraiment un développement, une forme d’amitié et d’amour même, car l’amour est déclinable en je ne sais pas combien de nuances.
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> Est-ce que tu penses qu’aujourd’hui, être présent sur les réseaux sociaux est quelque chose de primordial quand on est un artiste ?
Je ne pense pas que ça soit fondamental, mais tout dépend du niveau de notoriété. De nos jours, s’ils sont utilisés avec parcimonie et intelligence, les réseaux sociaux peuvent être essentiels pour le développement d’un artiste qui veut se faire connaître, et ce même si ce n’est pas lui qui écrit directement. Pour le moment, même s’il y a des gens qui travaillent avec moi, c’est essentiellement moi qui écris dessus. Mais comme je n’aime pas moi-même être spammée, j’essaye de faire en sorte de ne pas remplir les boîtes mails ou les murs des personnes. Cela permet aussi de rendre beaucoup plus importantes les choses que je peux poster occasionnellement.
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> Comme tu le disais tout à l’heure, tout cela t’a permis de gagner en notoriété, notamment en France. Comment ressens-tu ça ? Est-ce que ça change ta manière de travailler ?
La seule chose que je me dis, c’est que cette visibilité est de bon augure et va me permettre d’aller chanter mes chansons à travers la France, au plus proche de ceux qui voudront les écouter. Je suis très heureuse d’avoir fait une série de concerts à Paris, mais Paris n’est pas la France et j’ai hâte d’aller sur les routes. Or, c’est bien de pouvoir organiser des concerts en province, mais il faut aussi que les gens le sachent si je ne veux pas me retrouver à chanter toute seule ! L’idée est de pouvoir partager, et la scène, c’est vraiment l’endroit où je me trouve le mieux, où tout me vient naturellement. Alors que le studio reste un exercice où j’apprends encore à comprendre comment est-ce que je veux travailler et m’entendre.
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> Est-ce que le fait que tu ais composé cet album sur la route est lié au fait que tu te sentes mieux sur scène ?
L’album n’a pas essentiellement été composé sur la route. Sur les dix morceaux, et encore il y en avait plus mais on a dû faire des choix, la plupart ont été inspirés dans d’autres situations comme en vacances ou tranquillement à la maison. Mais l’inspiration arrive quand elle veut, je ne me dis pas « Allez hop, assis-toi et écris une chanson ». Alors en effet, elle m’est parfois arrivée en tournée, du coup j’ai vite pris mon téléphone ou une feuille pour écrire les paroles ou mélodies qui me venaient en tête. Je me réveille aussi parfois en pleine nuit avec un air en tête que je vais tout de suite enregistrer pour ne pas oublier. Pour moi, c’est magique et presque de l’ordre du spirituel. C’est très imagé ce que je vais te dire, mais ce sont des notes qui voyagent sur des fréquences et, à un moment, tu es sur la bonne onde et tu les attrapes. Après, je me dis que si tu les laisses passer, c’est que ce n’était pas la chanson pour toi mais pour quelqu’un d’autre ! C’est pour ça que Five and a feather, qui est un titre un peu cryptique je m’en rends compte, relève un peu de l’incantation et de la magie.
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> Est-ce que les quelques morceaux qui te sont venus sur la route te semblent différents, avec un aspect plus live, que les autres ?
Non, je ne dirais pas ça. En travaillant avec Jean Lamoot et Pascal Danae, les réalisateurs de l’album, dans les studios Ferber de Jean à Paris, on était dans les conditions du live. On jouait tous en même temps, ce qui permet d’être beaucoup plus instinctif et vrai, même si après on a parfois dû réenregistrer certaines choses. Cependant, ça reste une photo d’un moment donné. Un an s’est passé depuis les enregistrements, et par exemple, je ne chante plus Let You Down de la même façon. La seule différence c’est qu’en tournée, j’ai peut-être assisté à certaines scènes que je n’aurais pas vues en restant chez moi.
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> Cet album parle beaucoup d’amour, et des différentes nuances d’amour comme tu le disais tout à l’heure. Qu’est-ce qui te plaît tant dans ce sujet ? Est-ce que c’est le côté à la fois très personnel et très universel ?
C’est un peu les deux. Il y a une palette de sentiments très différents les uns des autres, mais la ligne de démarcation entre eux peut parfois être très subtile. Je pense que l’amour, que ce soit l’amour pour le travail, les amis ou autre, est à la base de tout. On naît tous avec l’amour en soi. Ensuite, la différence se fait en fonction de la quantité et la manière dont tu recevras ou non cet amour, ce qui va donc le transformer selon les personnes. C’est un sentiment plein de contradictions ; à la fois très universel mais aussi très personnel. Donc oui, Five and a feather est un album plein de contrastes, qui parle beaucoup de l’amour et de toutes ses nuances. Par exemple, Let You Down est une chanson d’amour très grave puisqu’elle parle de séparation, et tout de suite après il y a Let me Love You qui est tout le contraire.
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> Tu as l’air de beaucoup aimé la musique pour le partage humain qu’elle permet. C’est quelque chose que l’on ressent aussi beaucoup chez Faada Freddy, or tu as collaboré avec lui pour le titre Here. Comment ça s’est passé ?
Ça a été très simple, il m’a tout de suite dit oui, sans même avoir écouté la chanson. La seule difficulté a été d’organiser l’enregistrement pour des raisons géographiques : lui étant entre Dakar et Paris, et moi entre Rome et Paris. Mais quand on s’est retrouvés ensemble, il a tout de suite été à fond, comme à chaque fois qu’il fait quelque chose. Son apport sur Here est énorme et j’en suis très heureuse ! Ça a complètement retourné et magnifié la chanson en lui donnant plus de poids et de sens grâce à sa voix. Mais au-delà de son talent artistique, Faada est un homme d’une humanité, d’une sensibilité, d’une gentillesse et d’une générosité extrêmes ! En fait, il n’est presque pas normal ! (rires) Et c’est justement parce qu’il a la possibilité d’être mis en avant qu’il est, selon moi, l’un des porte-paroles de beaucoup de gens comme ça ; un représentant de cette forme d’amour pour l’art et l’humanité. Je veux croire, et d’ailleurs je crois, que la majorité des gens sont comme lui. C’est juste que c’est les fous qu’on entend le plus car ils font beaucoup de bruits. Mais l’humanité n’est pas foncièrement méchante.
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> Il y a d’autres artistes avec qui tu aimerais travailler ?
Il y en a énormément, et je suis déjà très heureuse d’avoir pu travailler avec certains sur cet album. Il y a eu Faada en effet, mais beaucoup d’autres musiciens également. Par exemple, le contrebassiste Greg Cohen qui avait déjà joué sur mon premier album Modulated et produit mon EP éponyme. C’est le meilleur contrebassiste au monde, et ce n’est d’ailleurs pas que moi qui le dis. Il a aussi travaillé avec Tom Waits, Lou Reed, Bruce Springsteen, Marianne Faithfull… et joue très régulièrement avec Woody Allen qui est un grand passionné de jazz. Je suis très honorée que l’on soit amis. C’est une personne pleine de talent, et d’une générosité que je n’ai rencontrée que dans les grands artistes qui ne sont pas jaloux de leur art et de leur talent, et qui tirent vers le haut tous ceux qu’ils croisent sur leur chemin. J’apprends beaucoup avec lui. Sinon, il y a aussi Paco Sery et Ballaké Sissoko à la kora qui a d’ailleurs été nommé, comme Faada, aux Victoires de la musique. Je suis très heureuse pour eux ; il était temps ! Après si on voulait parler des personnes avec qui j’aimerais travailler, je ne saurais même pas par où commencer car j’écoute beaucoup de choses. Ça va de Ben Harper à Sting. Pour les français, j’aime beaucoup Tété, Oxmo Puccino, Hindi Zahra…
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> Tu as aussi collaboré avec SainaSix pour la pochette de l’album. Comment ça s’est passé ? Tu la connaissais avant ?
C’est une jeune française pleine de talent. J’avais vu son travail pour le site afropunk et j’ai su après que c’était la cousine d’une amie. Je lui ai demandé si elle pouvait nous mettre en relation. Il s’est avéré que les Japonais avaient remarqué son talent et qu’elle travaille actuellement en tant qu’illustratrice à Tokyo ! On a finalement réussi à se voir sur Paris en décembre et on a discuté de son projet autour d’Alfons Mucha, puis des idées autour de l’album. Elle a accepté et son travail relève d’une opposition entre l’image et ce que tu vas finalement écouter. C’est une surprise ; une interprétation des différents personnages que je peux interpréter dans mes chansons, mais qui en vérité ne sont pas réellement moi. J’aime beaucoup son trait, son dessin, sa sensibilité et je suis très fière de cette pochette. Il y a plein de secrets qui s’y cachent et qui se dévoileront aux personnes très attentives aux petits détails !
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> Est-ce que tu considères que c’est important tout cet univers visuel autour de la musique ?
Disons que ce qui est primordial reste la musique et le chant. Ce n’est pas un visuel qui me décide à acheter un disque ou un livre, mais le contenu. Mais de nos jours, avec les réseaux sociaux, ça devient important car il faut toujours avoir du contenu visuel pour pouvoir les alimenter. Par exemple, sur Instagram je poste des choses officielles, mais aussi quelques petites choses plus personnelles. C’est parfois drôle d’avoir un peu cette vision qui sort de la musique et qui te fait comprendre qui est l’artiste, mais ça ne doit pas devenir n’importe quoi non plus. Il faut savoir trouver le juste équilibre.
> Tu vis maintenant en Italie depuis bientôt 16 ans. Est-ce que tu as l’impression que musicalement, il se dégage de Rome une ambiance particulière qui t’inspire ?
A la base, je devais y aller seulement six mois pour des études, mais finalement ça a duré ! Tout le monde pense que je suis tombée amoureuse d’un italien mais ce n’est pas ça du tout ! (rires) J’ai une vie personnelle ici, mais c’est vraiment la ville de Rome qui m’a subjuguée et émue. Je me suis sentie aspirée par son ambiance, ses couleurs, la météo, la culture, et la nourriture ! Rome a été essentielle pour mon développement musical. Je baigne dans la musique depuis que je suis toute petite car j’ai la chance d’avoir des parents mélomanes. Papa a notamment une énorme collection de vinyles et, à chaque fois que je reviens de Paris, j’en emporte quelques-uns avec moi. Pour le chant, c’est un peu pareil. A l’école, pendant la récréation, mes camarades me demandaient de chanter la chanson qu’on venait juste d’apprendre, ce que je faisais avec grand plaisir. Mais ça ne me serait jamais venu à l’esprit de devenir chanteuse. Et puis à la maison, les parents sont toujours un peu inquiets donc ils disent « C’est bien, tu as la musique pour passion, mais maintenant étudie ! » (rires) Professionnellement parlant, ça fait à peine une dizaine d’années que je vis de la musique, avec des hauts et des bas bien sûr car c’est la vie d’artiste. Et Rome pour ça a été une très bonne école car c’est ici que j’ai écrit mes premières chansons, que j’ai rencontré les musiciens, que j’ai commencé à faire mes premières jam sessions… Et ce tout en ayant un boulot à côté que j’aimais beaucoup, car je m’occupais de commerce international dans l’audiovisuel. Mais à un moment donné, quand j’ai vu la proportion qu’occupait la musique dans ma vie, j’ai dû faire un choix. La scène romaine m’a donc beaucoup stimulée et a motivé ma décision.
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> Tu as fait beaucoup d’autres choses, tu as aussi été actrice.
Effectivement, mais le fait d’avoir joué dans des films est vraiment arrivé par hasard, je n’avais pas étudié pour ça. Disons que j’ai dû être au bon endroit au bon moment pour le bon rôle, et après d’autres réalisateurs m’ont demandé de venir travailler avec eux. Et comme la première expérience avec Cristina Comencini s’était très bien passée, j’ai continué. Mais il y a des tournages que je n’ai pas pu faire car ma priorité reste la musique, et du coup les plannings ne correspondent pas toujours. Je suis très contente de tout ce que j’ai fait, j’ai travaillé avec de très bons réalisateurs italiens. D’ailleurs, Daniele Luchetti était au festival de Cannes pour La Nostra Vita et l’acteur principal, Elio Germano, avait remporté un prix ex-æquo avec Javier Bardem. Mais je n’avais pas pu aller à Cannes, justement parce que j’étais en concert. J’espère que j’aurais d’autres occasions, mais ce n’est pas mon but premier. Si je devais choisir, je continuerais la musique sans hésiter.
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> Est-ce que tu as l’impression que ce que tu as pu apprendre sur les tournages s’est ressenti sur ta musique ?
J’ai plus l’impression que c’est le contraire car sur scène je me sens très libre et j’aime beaucoup jouer avec le public, c’est très naturel. Or là, l’exercice d’interpréter un personnage imposé, de jouer des sentiments, était très intéressant car ça venait justement en contradiction avec ce que je pouvais faire sur scène. Ça a été très fort, aussi parce que ce sont des rôles je ne vis pas directement et qu’il a donc fallu travailler, comme celui d’une ex-prostituée. Mais devoir jouer un rôle devant la caméra et une équipe me mettait dans une forme d’anxiété par rapport aux attentes du réalisateur. Alors pour ça, le travail sur scène m’a donné un vrai coup de main afin de garder une certaine tranquillité.
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> Comment s’est passée la conception de ton clip Let You Down du coup ?
Ça a été une belle histoire. J’avais vu le magnifique clip que Benard Benant, photographe de base, avait réalisé au Sénégal pour Cheikh Lô et j’avais beaucoup aimé l’histoire et la photographie. Du coup je me suis lancée et je l’ai contacté. Il a accepté et a ensuite soutenu le projet car, étant indépendants, on n’avait pas un gros budget, mais il s’est adapté à nos moyens. Pour ce clip, il a beaucoup misé sur moi en gros plans parce qu’il a pensé qu’il fallait que les gens me reconnaissent, qu’ils sachent à qui ils ont affaire, ainsi que sur mes mains parce qu’apparemment je joue beaucoup avec sur scène. Je suis très contente de ce clip qui est très esthétique, beau, mais tout en restant simple, sans être trop « chic ». C’est également lui qui a fait les photos de presse, et quelques-unes que l’on retrouvera dans le livret de l’album.
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Merci à Awa Ly pour le temps qu’elle nous a consacré !
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awalymusic.com www.facebook.com/awalymusic Photos © Bernard Benant