HomeInterviewsRencontre avec Barbara Pravi, artiste montante de la scène française, à la fois passionnée et passionnante

Rencontre avec Barbara Pravi, artiste montante de la scène française, à la fois passionnée et passionnante

En pleine réalisation de son premier album et pré-sélectionnée pour représenter la France à l’Eurovision, Barbara Pravi a des journées bien remplies. Malgré tout, la jeune femme a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions ; l’occasion de discuter de son parcours, de ses premiers EP, de son engagement pour la cause féministe et de parler du futur, de son premier album que nous attendons avec impatience. Retour sur un échange passionnant et passionné, avec une artiste française incroyablement douée.

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   > Bonjour Barbara. Tout d’abord, comment vas-tu en ce début d’année 2021 ?

Ça va plutôt très bien ! Je fais plein de choses et je travaille beaucoup sur l’Eurovision actuellement. Cela prend un temps assez conséquent. Je travaille aussi sur mon premier album. Je fais les deux en même temps.

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   > Comment vis-tu cette pré-sélection à l’Eurovision ? Comment va se passer la suite de cette aventure ?

Je ne me rends pas compte parce que cela reste encore assez confidentiel et tout ce que je fais, je le fais en side. Mais il y a eu la conférence de presse récemment et ils ont expliqué comment les votes allaient se dérouler. J’avoue que j’ai eu un bon moment de stress. Mais avant cela, ça allait plutôt pas mal. Concernant la suite, il y aura un prime fin janvier ou début février et nous sommes 12 finalistes. À l’issue du prime, il n’en restera qu’un.

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   > En fin d’année tu as sorti un très beau titre intitulé Voilà. Est-ce ce morceau que tu interprèteras lors de l’Eurovision ?

Exactement ! Ce qui est marrant, c’est qu’Igit et moi avons écrit la chanson pour la participante française à l’Eurovision Junior et c’est la France qui a gagné cette année. Du coup, nous allons devoir chanter cette chanson tous ensemble, sur le prime, le soir de l’Eurovision.

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   > Voilà est un très beau morceau qui, dans sa musicalité, son énergie, sa poésie, résonne comme un morceau d’Édith Piaf… Avais-tu conscience de cela quand tu l’as écrit ? Édith Piaf est-elle une source d’inspiration pour toi ?

Je n’avais pas du tout conscience de cela quand j’ai écris ce morceau. On me le dit beaucoup mais je suis une femme, je suis petite, très brune, un petit peu « gouailleuse », je roule les « r » depuis toujours donc on fait vite des associations d’idées. De la même façon qu’au tout début, quand Stromae avait sorti son premier album, beaucoup de personnes l’ont comparé à Brel. Mais nous n’inventons rien. Nous ne faisons que ré-inventer, refaire. Ce sont des cycles constants. Nous nous inspirons. Je suis inspirée par Édith Piaf, mais aussi par Barbara, Brel, Nougaro, Aznavour… des artistes qui font partie de la même famille, qui ont fait de grandes chansons un peu théâtrales, presque du music-hall et c’est ce qui me bouleverse.

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   > Ressens-tu parfois quelques difficultés à porter ou assumer ce style de musique, quand aujourd’hui ce qui semble avoir le plus de succès est plutôt la musique urbaine ?

Pour moi, c’est la différence entre le marché et ce que tu as envie de faire. Quand nous démarrons dans la musique, nous faisons quasiment tous la même erreur. Nous croyons qu’il faut faire des concessions sur ce que nous sommes, justement pour se plier au marché. Mais cela ne fonctionne pas. Quand tu t’es planté, que tu ne t’es pas trop fait descendre et que tu as réussi à reprendre le contrôle sur ce que tu es, tu commences à te poser les questions sur ce que tu es vraiment, les raisons pour lesquelles tu fais ce métier, ce que tu as envie de dire, quelle est ta parole… Je me moque vraiment du fait que ma musique ne soit pas dans les codes actuels des plus gros vendeurs. Les gens qui sont des précurseurs dans leur domaine sont ceux qui sont allés à contre-courant. Mais il ne s’agit pas d’aller à contre-courant, il s’agit de vouloir être ce que tu es. Donc je n’ai pas peur parce que je fais ce que j’aime. Et si ça ne marche pas, ce n’est pas grave, parce que ça n’aura pas marché avec ce que je suis.

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   > Et finalement, pour toi, les choses fonctionnent plutôt bien…

Ça fait cinq ans que je cherche, que je précise…

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   > Dans ton parcours, tu collabores avec beaucoup d’autres artistes, comme par exemple le duo Terrenoire. Est-ce que travailler avec d’autres musiciens est important pour toi ?

Nous faisons de la musique pour être entendus par des gens, par « l’autre ». Nous ne pouvons pas faire notre métier sans « l’autre ». J’adore travailler avec d’autres personnes, même pour mon projet. Par exemple, le titre Voilà a été co-écrit avec Igit. Le duo Terrenoire est venu chercher des gens pour collaborer avec lui. On vient apporter une expertise, épauler… C’est du partage et c’est à ça que correspond la musique. Pour moi c’est une évidence et j’espère que j’aurais l’occasion de collaborer toute ma vie. Puis plus tu grandis, plus tu peaufines tes choix, ce que tu aimes et plus tu as la possibilité de dire oui ou non. À mes débuts, j’ai dû écrire 200 chansons pour 200 artistes dont les 3/4 ne sont jamais sorties. Aujourd’hui, je choisis les personnes avec qui je veux travailler. Par exemple, je sais que je suis nulle en rap. Si demain un rappeur vient me chercher, j’essayerai mais je sais que ce ne sont pas mes qualités. Petit à petit, tu te connais mieux, tu sais quelles expertises tu peux apporter à telle personne…

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   > Aurais-tu des envies de collaborations, pour un futur plus ou moins proche ?

En ce moment je n’ai pas trop le temps et je me concentre beaucoup sur mon disque, donc ce sont plutôt les autres qui viennent travailler pour moi. Mais j’ai mon équipe donc les choses sont assez bien ficelées. Sinon il y a plein de gens avec qui j’adorerais travailler. Je pense que ça doit être fou de faire du studio avec Christine and the Queens, avec Eddy de Pretto, Aya Nakamura… Ça doit être intéressant avec tout le monde !

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   > Tu as sorti ton premier EP en 2017 puis ton deuxième EP en 2020. Quel est ton ressenti par rapport à cette année compliquée que nous venons de passer et le fait d’avoir sorti cet EP peu de temps avant la crise ? Tu n’as certainement pas pu le jouer comme tu avais prévu de le faire sur scène.

Je l’ai sorti en février, j’ai un peu échappé au Covid. Mais je n’ai jamais fait de tournée, donc je ne suis pas déçue, ni triste. Et tout ce qui s’est passé sur l’EP était incroyable. Cela fait trois ans que je travaille à re-situer mon projet parce que le premier EP sorti en 2017 ne me correspondait pas à 100%. Je n’ai pas un amour fou pour ce disque et les années qui ont suivi m’ont permis d’assumer ce que je voulais faire. Je suis très fière de l’EP sorti en 2020 et je n’ai pas le sensation d’avoir raté quoique ce soit et notamment d’avoir raté une tournée. Tous les retours que j’ai eu ont été incroyables, je n’en attendais pas tant. Et je ne suis pas en attente de tournée parce que mon projet n’a pas encore été « tournée friendly ». Le titre Notes pour trop tard a marché sur YouTube, mes EP sont écoutés… Mes chansons sont écoutées sans donner lieu à des tournées, ce qui est incroyable et ce qui signifie que dès lors qu’il y aura des tournées ce sera encore mieux et je vais adorer ! Disons que pour le moment, ce n’est pas quelque chose que j’attends désespérément parce que ce n’est pas quelque chose que j’ai eu la chance de connaître.

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   > Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce nouvel album ? Quand aimerais-tu le sortir ?

J’aimerais le sortir à la fin de l’été mais je vais être obligée de m’adapter. Je devais tourner le clip de Voilà en décembre mais nous n’avons pas pu à cause du Covid. On a reporté le tournage fin janvier mais on ne sait pas si nous ne serons pas reconfinés…. Donc je vais devoir m’adapter en fonction de la vie. Et pour cet album j’aimerais avoir une tournée, pouvoir faire quelques dates. Nous allons nous adapter à la temporalité, aux événements extérieurs, que nous ne pouvons pas décider… mais l’idée serait qu’il sorte à la fin de l’été et il sera prêt.

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    > Tu es une chanteuse engagée. Est-ce que tu as le sentiment d’avoir toujours été quelqu’un d’engagé ?

Oui, même si je n’ai pas tout de suite mis les mots dessus, notamment quand j’étais enfant. C’était des ressentis. Je me suis faite virer de sept collèges et lycées parce que je ne supporte pas les injustices. Je prenais la défense des autres en classe et j’étais la fille insupportable et arrogante qui parlait mal aux professeurs parce que je ne comprenais pas l’autorité qu’on essayait d’imposer. J’ai toujours eu ce caractère. Il n’était pas conscientisé, ni réfléchi et avec le temps, j’apprends à comprendre les sources de ces injustices et ce qui provoque ce sentiment de défense. Et pour l’instant ce sont les questions liées à la femme qui m’animent, parce que j’en suis une et parce qu’en grandissant j’ai vécu d’autres choses qui font que ce sont des sujets que je questionne. C’est, en quelque sorte, de la psychanalyse.

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   > Aujourd’hui que tu es une chanteuse écoutée est-ce que tu estimes que c’est important pour toi ainsi que pour d’autres artistes, de pouvoir t’exprimer, d’avoir ce rôle de « porte-parole » ?

Pour moi c’est important mais je ne sais pas si ça l’est pour tout le monde. Je comprends que tout le monde ne soit pas engagé et tant mieux. Il en faut pour tous les goûts. Il faut des gens qui disent des bêtises, des gens qui disent des choses plus légères, des choses engagées… Il faut de tout pour que la pensée se forme, pour que les gens qui écoutent se fassent des avis. Mais en ce qui me concerne, je mets tellement de moi dans mes chansons que je ne peux pas être autre chose qu’engagée. Je suis engagée dans la vie et ce n’est pas quelque chose que je réfléchis. Je suis quelqu’un d’habitée de lumière, de débats, habitée de comprendre… Et en plus nous sommes beaucoup dans ma tête (rires).

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   > Est-ce que tu trouves qu’aujourd’hui, être une femme engagée dans le secteur des musiques actuelles, peut-être compliqué ?

Oui c’est compliqué. Et quand un sujet devient à la mode, il perd son effet, sa substance initiale. Par exemple, je ne ferai rien pour la journée internationale des droits des femmes cette année, parce que je ne me reconnais plus dans beaucoup de paroles actuelles. C’est une mode et une parole peut perdre de son effet. Quand il y en a trop et que tout dit tout et n’importe quoi, qu’on s’énerve, qu’on s’insurge, cela devient épuisant. Personnellement, cela me perd un peu et ce sont des moments où j’ai besoin de me recentrer, de comprendre, de retrouver quel est mon endroit, mon ressenti personnel sur ce qu’il se passe.

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   > Tu partages beaucoup de tes idées, de tes ressentis, de ton engagement sur les réseaux sociaux et notamment sur Instagram. Est-ce également important pour toi d’être en relation directe avec les personnes qui écoutent ta musique ?

Oui et je le fais pour ça. Nous avons besoin du public pour être entendu, pour que notre musique et n’importe quelle autre forme d’art existe. C’est compliqué en ce moment parce que même les peintres, les sculpteurs, tous les artistes qui fabriquent leurs œuvres, ne sont plus regardés parce que les musées sont fermés etc. La situation actuelle pour la culture est terrible mais cela prouve bien que l’existence même de l’art, peu importe sa forme, se trouve dans l’autre, dans le regard de l’autre personne que soi. C’est très important pour moi d’être proche de ceux qui m’écoutent parce que je ne suis pas différente de quiconque. Je suis quelqu’un de normal et tout ce qui se passe autour du fait d’être connu me dérange. Ce n’est pas mon but dans la vie. Mon but est de faire passer des messages et j’ai la chance, parce qu’ils sont faits en musique et parce que j’ai une bonne étoile, que ça existe et que ça marche. Je n’aurais pas fait de la musique, j’aurais peut-être fait du droit et j’aurais peut-être fait passer mes messages en étant avocate pour le droit des femmes, je n’en sais rien. Donc c’est important pour moi d’avoir un lien avec les gens qui m’écoutent. J’ai également ouvert un mail pendant le premier confinement (jetecriraidesmots@gmail.com) et tous les jours je reçois des messages de femmes, d’hommes, qui me racontent leur vie. Nous sommes tous humains. En vrai, nous faisons de la musique pour le partage. Pourquoi les gens aiment autant faire des concerts ? Parce que ce que tu vis est incroyable, l’alchimie que tu as entre toi et les autres est incroyable. Et j’aimerais que ce soit tout le temps le cas. Alors dès que je le peux, je réponds. Je reçois beaucoup de messages et je n’ai pas suffisamment de bras pour répondre à tous mais j’essaye au maximum d’entretenir, de partager, d’être dans le don et pas uniquement dans la réception.

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Un grand merci à Barbara Pravi pour cet échange riche, à la fois plein d’humanité, d’humour et de promesses pour le futur.

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www.facebook.com/barbarapravimusic
www.barbarapravi.com

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Actuellement chargée de communication, je suis passionnée par les musiques actuelles. J'observe, j'écoute, j'interroge et j'écris.

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