HomeInterviewsLe duo Terrenoire se confie après la sortie de son premier album

Le duo Terrenoire se confie après la sortie de son premier album

 Quelques mois après la sortie de leur premier album Les forces contraires, Théo et Raphaël, les deux frères qui ont donné naissance au duo Terrenoire, ont accepté de répondre à nos questions. Au cours de cet échange, il a été question d’intimité et d’émotions, d’image, de tournée, de collaboration et un peu de pandémie, aussi. Ce fut un doux moment d’échange par téléphone interposé, mais plein d’humanité.

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  > Votre premier album Les forces contraires est sorti il y a deux mois. Comment vous sentez-vous, quels sont vos sentiments face aux différents retours, ceux des médias, ceux du public ?

Raphaël : Nous avons de très beaux retours. Souvent, les gens nous parlent de l’émotion qu’ils ressentent à l’écoute de certaines chansons. Ce qui nous surprend, c’est qu’ils arrivent vraiment à entendre les chansons dans leur propre vie, à les prendre pour eux. Par exemple, certaines personnes ont vraiment aimé écouter Ça va aller en boucle, parce que ce morceau leur donnait beaucoup de force pour leur vie. Le titre Derrière le soleil a également touché les gens. Encore récemment, je parlais avec une personne qui a perdu son grand-père et qui a aimé écouter cette chanson, parce que ça lui a permis d’extérioriser. Nous avons des retours assez émouvants, très intimes. Et c’est très beau de recevoir cela quand on créé.

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   > Est-ce que vous imaginiez l’impact que peut avoir un titre comme Ça va aller, qui résonne particulièrement en ce moment et dont l’écoute peut vraiment faire beaucoup de bien ?

Raphaël : Nous l’avons sorti pendant le confinement et quand nous l’avions écrit il n’y avait pas de pandémie ni de COVID. Cette chanson est simplement un encouragement et je pense que nous en avons tous besoin en ce moment. Il est vrai qu’il y a quelques chansons de l’album qui résonnent étrangement avec ce qui nous arrive à tous. J’ai envie de dire « tant mieux ». La musique sert à communier donc elle fait son travail. Et en concert, c’est beau, les gens sont unis. Avec ce disque, il y a beaucoup de partage frontal et direct. C’est très chouette.  Et j’espère que la chanson Ça va aller pourra encore avoir un sens dans cinq ou dix ans.

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> Les forces contraires est un album qui traite de sujets intimes difficiles, tout en offrant une atmosphère positive, presque enjouée… Était-ce le but recherché lors de sa composition ?

Raphaël : Nous voulions que cet album soit un élan vital, un retour à la vie, comme le dit la première chanson Le temps de revenir à la vie. Nous voulions parler de la mort sans que ce soit déprimant ou triste. Au contraire. La morale de cet album est de dire que la vie remporte tout et qu’il y a quelque chose de plus grand que nous. « Il y a quelque chose de plus grand que moi » est la phrase qui clôt le disque. C’est une ouverture d’espoir, qui permet de se dire que quoiqu’il en soit, nous pouvons tout traverser et se fier à une forme de magie, blanche ou noire, qui se rencontre. C’est l’idée des forces contraires ; deux magies, deux énergies qui se rencontrent, la vie et la mort, qui renforcent le tourbillon intérieur et donnent des clés pour avancer, nous élever.

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   > Cet album est donc particulièrement intime, vous parlez de votre vécu sur plusieurs titres. Est-ce un album qui a aussi servi d’exutoire, qui vous a permis de vous exprimer et de mettre des mots sur des émotions compliquées, douloureuses ?

Raphaël : Oui bien sûr. Surtout pour cet album, où nous en avions gros sur la patate, nous étions chargés émotionnellement. Donc tout était à portée de main. Il fallait juste raconter, écrire ce que nous ressentions. Il y a eu beaucoup d’écriture et beaucoup de mots. Il y avait vraiment cette sensation de se presser comme un fruit trop mûr et de faire sortir ces mots et ces émotions telles qu’elles étaient. Assez brutes. Il y a des mots qui font fleurir des formes, des figures et d’autres qui sont très crus, très directs et c’est l’aller-retour entre ces fleurs et ces autres qui a donné la couleur au disque et aux textes.

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   > Vous êtes un duo de frères. Comment travaillez-vous ensemble ? N’est-ce pas compliqué, parfois, de travailler entre frères ?

Théo : Non… Les frères d’Oasis n’aiment pas travailler ensemble mais pour nous non, nous n’avons pas de problèmes à travailler entre frères. Nous n’aimons pas la discorde donc nous ne la cherchons pas. Nous réglons les problèmes si jamais il y en a. C’est un plaisir absolu de travailler avec son frère. Nous sommes toujours en connexion, nous comprenons ce que l’autre veut dire… Nous avons été élevés dans l’amour entre frères. Et nous avons un autre grand frère avec qui la situation est identique.

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   > Comment se passe le processus de composition ? Chacun amène ses idées puis vous décidez ensemble ?

Théo : La plupart du temps Raphaël écrit les ébauches des chansons, à savoir la composition et le texte et ensuite nous les remodelons ensemble. De mon côté je travaille plutôt sur les machines. Il arrive qu’il y ait des exceptions et que je refasse une musique et que je la produise. Par exemple, j’ai quasiment travaillé seul sur Dis moi comment faire, la deuxième piste de l’album. Raphaël chante uniquement sur une partie du refrain, en backing vocals. Mais en général, le processus ressemble plutôt à ce que j’expliquais au début.

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   > Vous êtes actuellement en tournée et ce jusqu’en janvier. Deux de vos dates parisiennes sont complètes. Comment se passe l’organisation de vos concerts et de votre tournée en période de pandémie, de couvre-feu… ?

Théo : Les concerts se passent assis et masqués mais actuellement nous ne sommes pas sûrs qu’ils puissent tout simplement avoir lieu, peut-être que oui, peut-être que non… Nous recevons des messages de notre tourneur qui nous explique que des dates vont êtres reportées en mars. C’est la pagaille mais nous allons trouver des solutions. La situation nous oblige aussi à voir le bon côté des choses et à se dire que c’est la vie de troubadour (rires). Il faut être malléable, agile. C’est comme ça. Il faut trouver de solutions. Il est également important de se dire qu’il faut prendre du temps pour sauver la culture et qu’il faut rester positif. Nous allons y arriver. Nous allons réussir à faire des concerts. Nous en avions une vingtaine de programmés, qui sont finalement passés à quinze, le couvre-feu va peut être nous en faire annuler deux autres. Nous avons énormément de chance de réussir à faire treize concerts jusqu’en janvier. Nous ne sommes pas les plus à plaindre.

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   > N’est-ce pas un peu frustrant de sortir un premier album en pleine de pandémie et de ne pas pouvoir le présenter comme vous le souhaiteriez à votre public ?

Théo : Il est sûr que nous adorerions faire une tournée avec plein de dates. Celle de l’EP avait été pleine de beaux moments. Nous avons fait entre 60 et 70 concerts sur deux ans. C’était super. Aujourd’hui les choses sont telles qu’elles sont… Nous sommes un peu fatalistes. Comme les choses n’ont pas lieu, je n’arrive pas à être malheureux. Puisque ce n’est pas là, ça ne me fait pas plus mal que ça. C’est la vie. Elle est telle qu’elle est.

Raphaël : C’est notre nature de prendre les choses de cette façon. Nous prenons la vie comme elle vient. Finalement il y a toujours du beau à tirer de ces périodes.

Théo : Comme le dit l’adage populaire : « une porte se ferme, une fenêtre s’ouvre » (rires). C’est bateau mais assez vrai, dans la vie comme dans beaucoup d’autres situations.

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   > Vous avez collaboré avec Barbara Pravi pour le morceau La fin du monde. Comment l’avez-vous rencontré et comment s’est passée cette collaboration ?

Raphaël : Nous nous sommes rencontrés il y a presque trois ans pendant une résidence d’écriture. Nous avions les mêmes éditeurs. Le même jour nous avons également rencontré l’artiste November Ultra, qui va sortir une très belle première chanson en novembre. Nous sommes tous devenus très copains. Puis nous avons acheté une petite cave et nous en avons fait un studio, dans lequel nous avons enregistré notre titre. Quand le studio a été terminé, nous avons invité nos amis et, tout naturellement, ils sont devenus les piliers de l’écriture. Quand j’ai fait écouter La fin du monde à Barbara, je lui ai proposé de poser des voix sur certaines parties. C’était très beau. La collaboration s’est fait de cette manière, en vingt minutes. Elle est revenue en studio poser les voix et nous avons enregistré.

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   > Est-ce que vous auriez envie de faire d’autres collaborations, avec d’autres artistes ?

Raphaël : Il y a beaucoup de choses qui nous attirent. Mais nous sommes davantage portés par la magie des rencontres plutôt qu’une stratégie. Pour cet album, nous voulions symboliquement des personnes très proches de nous, des présences réconfortantes, des piliers. C’est pour cela qu’on y entend nos amis, des gens avec qui nous avons passé énormément de temps ces dernières années.

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   > Vous avez également collaboré avec La Blogothèque pour le tournage d’une magnifique vidéo qui accompagne votre titre Derrière le soleil. Cette captation est très belle et très émouvante. Qui a eu l’idée de l’endroit et du scénario ?

 Théo : Tout s’est passé sur le moment. Nous étions avec La Blogothèque, en équipe réduite. Nous avons réfléchi à une mécanique avec ce que nous avions sous la main : des chaises, un microphone multi-directionnel et nous nous sommes dits que c’était beau de créer une symétrie. Il n’y a pas eu d’écriture poussée. Nous l’avons fait comme nous l’avons senti et nous avons senti que le tournage se déroulait bien, avec simplicité, sans trop pousser.

Raphaël : La Blogothèque propose des choses qui sont très naturelles, pas hyper chorégraphiées. Et ce tournage est finalement assez chorégraphié pour La Blogothèque. Mais tout s’est passé très simplement, sous l’orage. C’était très émouvant.

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   > Le visuel de votre album est assez particulier, très artistique et différent de ce que nous pouvons voir actuellement. Qui est à l’origine de cette création ?

Théo : Cette pochette a été peinte par Leny Guetta. C’est une vraie peinture qui existe dans un atelier à Paris. Elle n’est pas tout à fait terminée, les couches continuent d’être posées. Elle vit avec nous et c’est génial. Nous avons créé cet album autour de plusieurs symboles et notamment quatre piliers qui sont : la mort, la mer, l’amour et la lumière. Nous avions envie de les symboliser et la composition picturale nous semblait être la manière la plus simple et la plus correcte esthétiquement. Pour pouvoir parler de ce que dont nous voulions parler, nous ne pouvions pas utiliser de couleurs très vives, ni beaucoup de sourires, comme nous pouvons souvent le voir actuellement. Cela ne correspondait pas à la teneur de l’album. Nous voulions avoir des visages un peu déformés par la mort de notre père. Des nous « distordus ». Nous souhaitions également représenter la mer en arrière-plan et tout ce qu’elle symbolise. Derrière nous sur la droite il y a également un crassier, qui est l’autre nom du terril, dans le Nord de la France et qui correspond aux endroits où étaient jetés les déchets de la mine qui deviennent ensuite de véritables collines. Il y en a beaucoup à Saint-Étienne. Puis nous nous appelons Terrenoire, nous représentons le quartier. Ce sont des marques de l’enfance, de notre imaginaire, que possèdent notamment les personnes de Terrenoire, de Saint-Étienne, des pays miniers. Nous avons adoré ce visuel. Dans un premier temps, Leny Guetta nous a pris en photo pour avoir nos profils et pouvoir nous dessiner. Nous avons vu élaborer, petit à petit, la composition. Ensuite, elle a été magnifiée par Régular, un graphiste qui s’est occupé de rehausser certaines couleurs, de travailler le graphisme, la police d’écriture… Il s’est également occupé de la mise en page du livret. Nous sommes vraiment ravis de cet objet. Nous avons vu les vinyles pour la première fois en merchandising à Saint-Étienne et nous trouvons que, alignés, ces vinyles et les pochettes ressortent de façon assez étonnante. Le résultat est surprenant.

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   > Le visuel, l’image, sont donc importants pour vous ?

Théo : L’image fait partie du projet musical et notamment dans la musique populaire. Nous aimons bien aller au bout des choses. Nous avons beaucoup aimé écrire nos clips, les tourner. Et s’occuper de tout correspond aussi au travail de la matière, savoir ce que nous racontons. C’est du 360°. Cela simplifie la suite et nous permet de savoir où nous allons, où nous sommes. Puis c’est bien de pouvoir échanger avec un artiste pour qui nous avons de l’admiration comme Leny Guetta. C’est agréable de pouvoir simplement donner une idée et qu’elle soit ensuite re-transformée, re-fabriquée par quelqu’un d’autre, selon son artisanat, sa fibre artistique.

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   > En parlant de clip… vous aimeriez pouvoir en tourner d’autres prochainement ? Si oui, pour quel(s) morceau(x) ? Et qu’envisagez-vous pour le futur ?

 Théo : Pour l’instant nous sommes en train de réfléchir au morceau Jusqu’à mon dernier souffle, qui est un titre très intime qui parle du quartier, de Saint-Étienne. Avant l’album, nous avons sorti Mon âme sera vraiment belle pour toi, une chanson très heureuse, très libre, tournée vers les grands espaces. Nous serions très heureux de basculer à nouveau dans l’intimité, de continuer dans l’idée des forces contraires, de pouvoir balancer les choses en négatifs des uns et des autres en gardant une pâte esthétique qui lit le tout…

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Un grand merci à Théo et Raphaël de Terrenoire pour ce bel échange !

www.facebook.com/TerrenoireLaVieLaMort

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Actuellement chargée de communication, je suis passionnée par les musiques actuelles. J'observe, j'écoute, j'interroge et j'écris.

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