HomeInterviewsEmily Loizeau raconte « Run Run Run », son projet hommage à Lou Reed

Emily Loizeau raconte « Run Run Run », son projet hommage à Lou Reed

Quelques semaines après la sortie de l’enregistrement de son projet Run Run Run qui rend hommage à Lou Reed, Emily Loizeau a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions. L’occasion d’échanger autour d’une des plus grandes légendes du rock avec une artiste auteure-compositrice-interprète toute aussi passionnante.

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   > Vous avez récemment sorti l’enregistrement de votre projet Run Run Run qui rend hommage à Lou Reed, immense auteur-compositeur-interprète américain. Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Lou Reed ? Comment Lou Reed est-il entré dans votre vie et à quel moment ?

Ma première découverte de Lou Reed s’est faite avec le Velvet Underground quand j’étais adolescente. Je suis devenue fan du Velvet Underground, qui fait partie des groupes que j’ai beaucoup écouté à cette époque. J’ai découvert Lou Reed par le biais de ses chansons les plus connues, comme chacun d’entre nous, mais il y avait beaucoup de choses que je connaissais mal et de loin. Au moment de la disparition de Lou Reed, Le Marathon des mots m’a proposé de faire une lecture musicale en hommage à l’artiste, pour célébrer également la sortie du livre Traverser le feu (Seuil), une édition complète sur l’œuvre de Lou Reed qui a été faite en version bilingue, avec sa collaboration et de sublimes traductions de Sophie Couronne et Larry Debay. Nous nous sommes servis de ce livre pour monter ce projet en quelques jours pour Le Marathon des mots à Toulouse, suite à une invitation de Clémentine Deroudille, programmatrice.
Puis mon guitariste Csaba Palotaï, que j’ai sollicité pour cette lecture, ma grande amie comédienne et metteure en scène Julie-Anne Roth avec qui je travaille et moi-même, grands fans de Lou Reed, nous sommes pris un électrochoc important en plongeant aussi profondément dans l’œuvre de l’artiste et notamment son œuvre écrite, dans ses textes, dans ses mots, dans sa manière d’écrire… ce qui nous a donné envie d’aller plus loin et d’aller creuser cette lecture pour en faire un spectacle avec des projections, de la vidéo… À ce moment-là j’étais tout juste artiste associée au 104, à Paris, et je leur ai proposé de travailler sur ce projet avec nous. Nous avons monté cette création pour le festival Temps d’images d’Arte, au 104. Pour moi il y a donc eu plusieurs strates de rencontres avec Lou Reed. Il y a eu le Velvet, ses chansons phares et celles que j’ai rencontré au gré de mon adolescence, post-adolescence et de mes débuts dans la musique et il y a eu cette rencontre, beaucoup plus en profondeur, du fait de cette demande du Marathon des mots, qui a été assez fondatrice et qui m’a donné l’impression de le redécouvrir une deuxième fois, de comprendre réellement qui il était et la force poétique de son œuvre. Cela m’a également permis de découvrir ce qu’il désirait à la fin de sa vie, c’est à dire ne plus jouer ses chansons et juste les dire parce qu’il voulait qu’on entende ses mots et qu’on entende à quel point il laissait une œuvre littéraire, poétique.

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   > Cet hommage est donc d’abord né sous la forme d’un spectacle avec lequel vous avez beaucoup tourné, notamment en 2016, 2017, 2018…

Nous n’avons pas joué à la fréquence d’une tournée organisée pour la sortie d’un album pour laquelle nous avons 4/5 dates par semaine pendant 3 années. Nous nous sommes laissés cette joie et cette liberté de le jouer dès qu’il y avait des demandes. Parfois nous jouions pendant plusieurs mois d’affilés et d’autres fois uniquement de temps en temps. Il est vrai que pendant 3 années nous l’avons beaucoup joué, ce sera un spectacle que nous garderons dans nos tiroirs. Et si une belle proposition est là et que nous sommes disponibles, nous le jouerons un peu éternellement. Ce spectacle est un moment très spécial pour nous.

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   > Le fait de ne pas le jouer en continu évite probablement une forme de lassitude non ?

Certainement oui. À chaque fois que nous le reprenons il y a une émotion, parce que nous avons aimé faire ce projet ensemble et que nous aimons le jouer ensemble mais aussi parce que je suis rattrapée par les mots, par cette émotion, cette sensibilité à fleur de peau qui provient des chansons et des textes de Lou Reed. Une émotion que j’avais reçue mais pas à ce point. Je n’avais pas mesuré à quel point la noirceur est présente chez Lou Reed mais il y a aussi une sensibilité extrême et un amour pour les personnages qu’il décrit dans leur désespoir, leur déchéance… On y trouve également une quête de lumière très forte et ça me bouleverse à chaque fois. Et dès que je reprends ce spectacle, peut-être parce que effectivement nous ne le jouons pas tous les jours, il y a quelque chose de très fort qui s’opère, nous avons la gorge serrée à chaque fin de spectacle. Et le disque, qui est récemment sorti, est une captation live d’un de ces moments.

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   > Justement, pourquoi avoir attendu autant de temps pour enregistrer ce spectacle et le sortir en disque ?

Il y a plein d’explications et en même temps pas vraiment. Je voulais le sortir au début, quand nous étions vraiment en train de le jouer mais au même moment je devais sortir mon album Mona et il est compliqué de sortir deux disques en même temps. La maison de disque n’était pas vraiment d’accord. Nous en avons fait une version studio parce que je pensais pouvoir convaincre plus facilement un label avec un enregistrement moins théâtral mais cela ne s’est pas fait pour ne pas parasiter Mona. Puis le temps est passé et nous avons décidé de capter des lives parce que ce qui se passe sur scène est spécial et que nous craignons que la version studio ne soit trop désincarnée, par rapport à que nous vivons tous les trois. J’ai toujours voulu que ce soit un projet un peu à part et nous voulions en faire un livre-disque. Au départ, c’était vraiment un projet de théâtre musical et après avoir essuyé le retour de mon label qui craignait que cela fasse beaucoup de projets en même temps, je me suis dis que nous allions en faire un livre, quelque chose d’un peu d’exceptionnel. Puis December Square est arrivé et m’a proposé de faire ce double-vinyle, un peu à contre-temps et un peu comme un scrapbook, qui peut servir de souvenir pour ceux qui ont vécu ce spectacle. Et pour l’occasion, nous allons le rejouer au mois de septembre au 104. C’est aussi une manière de partager avec ceux qui ne l’ont pas vu. Je sais que nous allons le rejouer donc maintenant il y a une trace de tout cela. Il existe. Cet objet va accompagner ce concert qui va se rejouer en septembre et qui se rejouera après, une fois que mon prochain album sera sorti.

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   > Est-ce qu’il y a un morceau pour lequel vous avez pris le plus de plaisir à reprendre, à vous réapproprier ? Un morceau qui vous tenez le plus à cœur de jouer ?

Il y en a plusieurs, notamment Perfect Day avec l’émotion sur la fin du morceau, qui est aussi le dernier titre du spectacle. Ce concert est vraiment une veillée, une veillée vers lui et dans cette chanson il dit à celui ou celle qu’il aime « Tu me donnes l’impression d’être quelqu’un d’autre et quelqu’un de bien » et je lui ai toujours adressé ces mots, à lui. À la fin il dit aussi quelque chose qui résonne beaucoup en moi aujourd’hui, notamment d’un point de vue éthique, politique et poétique. Il dit : « You’re going to reap just what you sow », ce qui signifie « Tu récoltes ce que tu sèmes ». Nous avons besoin, aujourd’hui, de réfléchir à la graine que nous semons, à ce qu’elle va proposer pour l’avenir et à notre responsabilité par rapport à cela. Je trouve cela très fort et c’est le premier moment où je regarde les gens. À l’intérieur des salles de spectacle nous sommes installés en cercle avec les personnes assises par terre autour de nous et comme le Velvet faisait ses concerts d’une façon un peu insolente en se mettant dos au public, nous avons repris cela. Et au moment où j’adresse le regard aux gens, je leur délivre ce message et c’est un moment d’émotion à chaque fois. C’est assez fort. Mais il y en a plein d’autres : Pale Blue Eyes, Take a walk, mais aussi Stephanie Says morceau pour lequel j’adore les paroles avec un tas de jeux de sons, de mots, de sens, que j’ai surtout perçus et mieux compris en lisant le texte. Ses chansons sont des bijoux et j’ai, à chaque fois, l’impression d’ouvrir un écrin. C’est tellement fin, comme de la dentelle, et en même temps c’est brut, organique et animal. Ce n’est pas quelque chose qui essaye d’être sophistiqué. Il n’y a pas que lui, mais pour moi Lou Reed est vraiment l’exemple de cet équilibre, de cette réussite à obtenir un joyau brut qui n’a pas de prétention, qui n’essaye pas d’être en posture.

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   > Quand on est face à une œuvre aussi belle, importante et imposante, ce n’est pas difficile de se la réapproprier pour la jouer sur scène ? Avez-vous eu des retours du public ?

Si on ne m’avait pas fait cette commande je ne suis pas sûre que j’aurais fait ce projet, parce que pour moi il fait partie de ces personnes intouchables et je me demanderais toujours si les gens ne préfèrent pas écouter l’original (rire). Mais j’avais vraiment envie d’honorer cette demande. J’aime les reprises faites par d’autres artistes qui donnent l’impression de s’être appropriés cette chanson, au point qu’il aurait lui-même pu dire les propos de la chanson. Le décalage, le déplacement est là, la personne n’a pas eu le « trop de respect » qui fait qu’il n’ose pas déplacer la chanson de ce qu’elle est. Il fait tout simplement ressortir la chanson pour ce qu’elle est dans sa composition, comme une nouvelle fleur qui fleurie d’une même plante tout en étant une autre. Le plus bel exemple qui me vient est la reprise d’Hallelujah de Leonard Cohen par Jeff Buckley, qui devient autre chose. Et quand on réécoute la version de Leonard Cohen c’est sublime, mais c’est un autre sublime. Je ne prétends pas avoir fait la même chose avec Lou Reed mais je suis allée vers les chansons pour lesquelles je me disais « je pourrais dire ça, je ne fais pas semblant d’être quelqu’un d’autre en disant ça ». J’y mets un sens intime et quand je le chante, il y a quelque chose d’intime qui se passe mais qui n’est pas la même intimité que Lou Reed. Je m’autorise sans me poser de question à prendre des libertés, allant jusqu’à arrêter d’écouter les originaux pour vraiment assumer ce décalage. Et je suis une fille, ce qui est peut-être plus simple. Ce décalage s’opère, je suis au piano tout le temps, j’ai aussi un guitariste qui dans cette même démarche de tordre les choses pour les amener vers ce qu’il est, lui. Nous étions dans un geste de laisser la place aux mots, de dire le plus doucement ses chansons. Dans ce spectacle nous sommes toujours au bord de l’explosion. Nous n’avons pas essayé de faire semblant d’être des artistes qui speak et qui ont traversé tout ce qu’il a traversé. Nous n’avons pas ce parcours. Nous l’avons fait avec ce qu’on est. Nous avons rendu hommage aux chansons. Les retours du public ont été bouleversants. Mais le public n’a pas été bouleversé parce que je reprenais Lou Reed mais parce que nous étions tous en communion, sans aucun terme religieux. C’était vraiment une veillée, nous étions tous dans le même espace au milieu, avec des enceintes aux 4 coins de la pièce, dans le même son, à écouter ses chansons, à les jouer, les chanter, à les écouter ensemble, à les lire ensemble. Parce que les gens sont très proches de nous j’ai pu voir les larmes sur les visages au moment où nous avions nous aussi la gorge serrée. Il y avait la tristesse de se redire que cette personne est partie, cette personne qui a tant amené à la musique et la force, la beauté déchirante de ses mots et la douleur de ce qu’il a traversé, à travers le rejet qu’il a ressenti du fait de son homosexualité, la souffrance liée à tout ça, la quête de légèreté perpétuelle au travers la noirceur…c’est bouleversant et c’est très beau d’avoir la sensation d’être avec des gens et de partager un amour en commun pour un artiste et des chansons. Et c’est ce que nous ressentons tous les trois.

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   > Vous auriez envie de refaire ce même style de projet pour un autre artiste ? Et si oui, quel·le artiste ?

Avec Julie-Anne nous avons commencé à rêver d’un spectacle autour de Patti Smith. J’espère que nous le ferons. Bob Dylan est également un artiste fondateur pour moi. Nous verrons. Je n’ai pas de plan tout tracé. Cela risque d’arriver encore et, je pense, avec cette petite équipe parce que nous avons adoré faire cela ensemble et que ce serait chouette de pouvoir refaire cela de temps en temps avec des gens qu’on aime.

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Un grand merci à Emily Loizeau pour avoir accepté de répondre à nos questions !

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Actuellement chargée de communication, je suis passionnée par les musiques actuelles. J'observe, j'écoute, j'interroge et j'écris.

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