HomeInterviewsDans les coulisses d’un clip : rencontre avec Belle Vedhere et Julien Surdeau

Dans les coulisses d’un clip : rencontre avec Belle Vedhere et Julien Surdeau

D’un côté Belle Vedhere, un groupe folk porté par un frère et une sœur, Benjamin et Charlotte, et de l’autre Julien Surdeau, artiste multi-casquettes et notamment réalisateur de vidéos. Ensemble, ils viennent de dévoiler non pas un, mais trois clips, pour illustrer le premier EP Foolish Hunt, disponible depuis octobre dernier. Si l’opus est un régal pour les oreilles, les vidéos le sont pour les yeux ! Alors, à l’occasion de la sortie du troisième et dernier chapitre, Old Men, nous avons rencontré les trois artistes pour discuter des coulisses du tournage.

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 > Bonjour à vous trois ! Merci de nous accorder ce temps pour discuter des trois clips que vous venez de réaliser ensemble. Mais commençons par le début car, avant ce triptyque, vous aviez déjà  tourné une vidéo pour Foolish Hunt il y a quelques années. Un clip qui a mystérieusement disparu d’Internet… Pouvez-vous nous en dire plus sur cette première collaboration ?
Benjamin : Avec Julien on se connaît depuis plus de dix ans et, effectivement, il y a bien eu un premier clip ensemble. On était partis en Angleterre à Margate car il avait l’idée de capter l’ambiance sur place. Mais depuis, le morceau a changé et a été réécrit pour qu’il soit en adéquation avec le reste de l’EP, ce qui a créé une différence entre cette nouvelle version et celle qu’on entendait dans le clip. Donc on a préféré retirer le clip de Youtube.

Julien : L’idée de la vidéo est née quand j’étais à Margate sur la côte sud-est de l’Angleterre. Je venais de voir Belle Vedhere en live à Paris, donc j’avais encore leur musique en tête et, quand je suis arrivé dans ce lieu très cool, folk par certains aspects, je me suis dit que ça pourrait être un repérage pour un projet. Tous les lieux que je voyais pouvaient servir pour faire un clip, alors j’en ai parlé à Benjamin. Et finalement ce qu’on a fait, c’est un peu un brouillon de ce que l’on retrouve dans les trois nouveaux clips : le bord de mer, les falaises, l’idée d’évasion. D’ailleurs, le morceau du premier projet a eu le droit à un deuxième clip. Donc on peut vraiment dire que cette vidéo nous a servi d’échauffement et nous a aidé à mettre en place certaines choses pour la série de clips, notamment au niveau des costumes.
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 > Comment en êtes-vous venus à retravailler ensemble pour cette série de clips ? Est-ce une décision qui s’est prise naturellement puisque vous vous connaissiez ?
Benjamin : Il se trouve qu’avec Charlotte, on a deux amis en commun qui, en plus de leur activité principale, font des clips. Il y a Florin Defrance que je connais depuis longtemps, qui fait surtout des clips pour le rap et avec qui nous avions fait une vidéo il y a à peu près deux ans. Il a une approche très technique, très léchée, il travaille beaucoup sur son matériel et sur les lumières. En fait, il est plutôt dans le côté technicité du cinéma. Et de l’autre côté, il y a Julien qui travaille plus sur les ambiances, sur l’aspect organique et humain, plutôt que sur le côté cinéma où tout est préparé à l’avance avec du matos, trois assistants réalisateurs, etc. Donc pour cette série de trois clips, il y avait deux chemins possibles. On avait initié ce côté instinctif à Margate avec Julien, et on a voulu le rendre plus conceptuel et plus consistant avec un triptyque un peu plus large.
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   > L’idée des trois clips était là dès le début, ou c’est une envie qui est venue au fil du tournage ?
Julien : Je crois que c’est Benjamin qui voulait faire ça…
Benjamin : Oui, c’était pour profiter de la sortie de l’EP. D’autant plus qu’avec ce contexte sanitaire c’est compliqué d’y voir clair. Donc on s’est dit que ça pourrait être un concept intéressant de monter une histoire sur trois clips. J’avais cette idée de faire ça sur un week-end : on part en tournage et on capte le maximum d’images pour raconter trois histoires ! Je m’étais pas mal inspiré des courts métrages/clips des Lumineers. Eux ils ont carrément fait un récit en cinq ou six clips qui avait d’ailleurs gagné un prix dans un festival. Sauf qu’eux ils ont du budget et tout une équipe autour !
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    > Vous aviez d’autres références visuelles en tête pour vos clips ?
Charlotte : Oui, ceux d’Angus & Julia Stone. Julien avait proposé beaucoup d’images aussi. D’ailleurs même sur le premier clip qu’on avait fait ensemble, je me souviens qu’il avait fait un mood board.
Julien : Oui, niveau références, j’ai regardé tous les clips folk de ces dernières années sur Youtube et je leur ai envoyé pas mal de captures d’écran pour qu’on se dise ce qu’on pouvait faire. Avec Benjamin on a aussi fait du repérage sur Google Maps pour voir tous les lieux qu’on pouvait croiser jusqu’à la maison qu’on avait louée pour le deuxième clip. Je voulais également me raccrocher à des images fortes qu’on avait partagées et validées entre nous. Visuellement, je pense qu’on a réussi à faire un clip qui ressemble à un clip folk de par la lumière, les teintes, les accessoires qu’on a apportés et les lieux qu’on a sélectionnés. Les clips sont un mélange de toutes ces influences pour essayer de faire ressortir cette ambiance qui colle avec leur musique. Pour moi l’idée, c’était aussi qu’en regardant les clips, on rencontre le groupe. C’était pour soutenir un premier EP donc il fallait vraiment qu’on puisse avoir la couleur de leur musique visuellement. Je trouvais aussi important qu’on puisse les voir à l’image pour savoir à qui on a affaire, d’autant plus qu’actuellement, on ne peut pas les voir en live
Benjamin : Oui, c’est vraiment grâce à Julien qu’on s’est projetés dans ces clips car sinon on n’aime pas trop ça… Au début, on voulait travailler avec des comédiens, puis on s’est dit que c’était le moment de se montrer. Mais personnellement, je joue extrêmement mal dans un clip dès que c’est un peu scénarisé ! (rires)
Charlotte : Julien nous a bien guidés sur la direction d’acteur, et heureusement car c’est vraiment un tout autre travail de se retrouver à l’image !
Julien : Mais ensuite on a fait le montage avec Ben, donc il pouvait, ou non, valider les jeux d’acteurs et enlever des plans ! (rires)
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     > Verdict ? Beaucoup de plans ont été enlevés à cause d’un mauvais jeu d’acteur ? (rires)
Julien : Pas tant que ça, ils sont un peu durs envers eux-mêmes ! On a tourné sur 48 heures du vendredi soir au dimanche soir : on avait le trajet, l’organisation du clip, les différents lieux à rejoindre, les changements de costumes à faire et la lumière à gérer. Donc à la fin, on avait plein de rushes différents mais beaucoup se retrouvent dans le clip. Par contre, l’idée de Benjamin de faire trois clips en deux jours dans des lieux différents était très ambitieuse ! D’autant plus qu’on voulait faire quelque chose qui ne soit pas situé dans l’espace : donc j’essayais de ne pas avoir de panneaux de routes, de détails qui nous plongent dans le lieu. L’idée était d’avoir une vidéo assez neutre pour donner l’impression qu’on puisse être aussi bien en Normandie, qu’en Ecosse ou en Irlande, voire aux Etats-Unis. Ça permettait aussi de ne pas situer le groupe : leur musique est en anglais, c’est folk, donc ça peut être n’importe où.
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   > Et pourquoi le choix de la Normandie ? Etait-ce uniquement dans l’idée d’avoir ces paysages, ou était-ce aussi parce que vous aviez un lien particulier avec cette région ?
Benjamin : C’était surtout par facilité logistique : on voulait quelque chose à deux ou trois heures maximum car on savait que le temps était très court et que ça allait être extrêmement tendu. Il faut aussi savoir qu’il y a de très belles maisons normandes donc on a pu louer une maison magnifique, et pas trop chère parce qu’on avait un petit budget. Ces clips, c’est vraiment nous, il n’y a pas d’artifice : on était tous les trois, sans assistant-réalisateur et avec des lumières naturelles.
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   > C’est une petite équipe pour tourner trois clips ! Comment les plans aériens ont-ils été réalisés ? Avec un drone ?
Julien : Oui, et c’était Benjamin le droniste. Il a fait du contenu en drone lors de voyages et on s’est dit qu’on allait unir nos forces de ce côté-là. Ca permettait de donner une dimension un peu spectaculaire aux clips avec des décors sympas. Moi je voulais me focaliser sur des visages, sur des détails pour donner le côté humain, tandis que les plans en drone permettaient de donner un côté aérien qui envoie du lourd. On s’est dit que le mélange des deux pouvait fonctionner, et surtout faire un peu plus « pro » pour donner l’illusion qu’il y avait une équipe derrière !
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 > Comme vous dites, vos clips reposent sur une lumière naturelle. Mais cette lumière ne peut pas vraiment se prévoir à l’avance. A quel point vous aviez planifié vos cadrages, vos plans avant le tournage ?
Julien : Benjamin avait fait tout un planning pour savoir à quelle heure on devait arriver à tel endroit.
Benjamin : On s’était vus plusieurs fois, deux ou trois mois avant le démarrage ; on avait essayé d’écrire une roadmap avec une timeline. On voulait vraiment baliser le tournage en fonction de nos envies et des lieux. Sur Maps, on a pu tracer l’itinéraire. On avait même calculé le temps de trajet qu’on avait et les kilomètres, car la voiture ancienne se louait au kilomètre. Il ne fallait pas dépasser certaines heures pour la lumière, un certain kilométrage pour la voiture, etc. Tout était donc un peu écrit à l’avance, même si, bien entendu, pendant le week-end tout ne s’est pas passé comme prévu. On a manqué de temps, de rushes, et de plein de choses ! Charlotte peut témoigner : ce n’était pas évident d’avancer sereinement car il fallait toujours penser au plan d’après pendant qu’on était en train de jouer dans le clip.
Charlotte : Oui, il y avait beaucoup d’instantanéité et c’est pour ça que ces trois clips sont aussi authentiques. Ca a été beaucoup d’instants un peu « volés » par Julien, mais avec un cadre qui a été bien préparé en amont par Benjamin et Julien.
Julien : Quand on avait une belle lumière, on essayait de faire le plus de plans possibles en dix minutes. Je me souviens que le premier jour, on voulait des plans de lever de soleil mais on avait quelques nuages donc ce n’était pas exactement ce qu’on souhaitait, alors on a dû refilmer le lendemain. Finalement, un lever de soleil, comme un coucher, c’est assez rapide ! Et comme toutes les lumières qu’on voulait étaient soit des levers, soit des couchers de soleil, il fallait y aller !
Charlotte : C’était très compliqué sur les plans d’arrivée de la voiture le matin, effectivement. Et sur la fin des trois clips avec ce coucher de soleil en haut des falaises, et les autres choses à gérer également, notamment l’envol de la lanterne. On n’était pas sûrs que ça fonctionne tout de suite. Mais au final, on a quand même réussi ! C’est vrai qu’on était très dépendants du temps, de la météo, des gens qu’il pouvait y avoir autour aussi…
Julien : Oui, c’est ça ! On dirait qu’ils sont seuls sur la falaise, mais en réalité c’est un coucher de soleil à Etretat : il y avait beaucoup de monde ! En fait, il y a le plan que tu rêves de faire, et le plan que tu arrives à faire en essayant de couper tout le monde à droite, à gauche. Et puis maintenant on peut le dire… à Etretat, on n’a pas le droit de faire voler de drone, ni lancer de lanterne !
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> Est-ce que faute de budget suffisant, il y a des choses que vous auriez voulu faire mais que vous n’avez pas pu ?
Julien : Non, ça ressemble à ce que je voulais faire, mais peut-être que deux jours supplémentaires pour fignoler aurait été bien.
Charlotte : Ce qui nous a manqué c’est un assistant-réalisateur ou un régisseur pour tous les à-côtés logistiques. Par contre, on a oublié de le mentionner mais la réalisation de ces clips a été subventionnée par la SACEM.
Benjmain : Oui on s’en est tenu à ce qu’on a eu de la SACEM dans le cadre de la campagne de financement de notre EP. En gros, on a fait trois clips à moins de mille euros ! C’est assez exceptionnel, je ne sais pas si ça se reproduira. Et si on devait avoir un peu plus de budget par la suite, ça serait effectivement pour avoir une assistance supplémentaire. Ou quelqu’un qui nous dirait « Alors là il faudrait peut-être aller manger car il va bientôt être 15h, et j’ai réservé tel resto » ! (rires) En vrai, ce sont des détails, mais c’est ce qui manquait.
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> Vous avez quand même réussi à tourner dans une très belle maison qui collait à votre budget. Comment l’avez-vous trouvée ?
Benjamin : On a fait une recherche assez fastidieuse sur Airbnb. On cherchait des logements un peu insolites, voire des manoirs. On a dû repérer une dizaine de maisons avant de trouver la bonne. Par chance, c’était une très vieille maison encore plus belle que sur les photos ! Quand on l’a ouverte, c’était comme on la voit dans le deuxième clip : avec ce piano, les plumes de paon, les livres.
Julien : Et des tableaux aussi !
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   > Vous n’avez rien eu besoin d’ajouter en plus pour la décoration ? Car ça correspond parfaitement à votre univers !
Benjamin : Non c’était vraiment comme ça. Mais on a peut-être déplacé un vase ! (rires)
Julien : On a enlevé des accessoires plutôt que d’en ajouter ! Ça ressemblait plus à un endroit pour passer un week-end entre amis qu’à un décor de clip. Donc j’ai fait un peu comme pour les touristes à Etretat : j’ai enlevé du cadre tout ce qui inscrivait un peu trop l’endroit dans la réalité.
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 > Ce qui est surprenant Julien, c’est que tu viens de l’art urbain, donc d’un art très différent de ce que tu as pu faire avec ces clips. Est-ce que tu avais déjà eu l’occasion de faire d’autres choses ou tu t’es vraiment jeté à l’eau avec ces clips ?
Julien : En fait la création vidéo c’est plus ou moins ce que je faisais à la base. Par exemple, j’ai déjà capté Benjamin sur scène il y a une dizaine d’années. Parallèlement, j’ai un pseudonyme (Thirsty Bstrd) pour tout ce projet d’art urbain. Mais ce sont deux choses vraiment très déconnectées. Si j’avais dû faire ce travail en tant qu’artiste urbain, je n’aurais sûrement pas fait quelque chose dans cet esprit folk. Mais la vidéo c’est vraiment quelque chose vers laquelle je vais par passion et que j’aurais peut-être envie de développer un peu plus.
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> Il y a des artistes qui décident de faire des clips complètement en décalage avec leur univers musical, ce qui aurait pu être le cas si tu avais fait une vidéo dans l’esprit de l’art urbain pour ces chansons folk. Est-ce que c’est quelque chose que vous pourriez faire à un moment avec Belle Vedhere ? Ou est-ce que vous pensez que ça casserait tout un univers visuel que vous essayez de mettre en place ?
Charlotte : Depuis le début du projet avec Benjamin, on soigne vraiment notre univers et l’aspect visuel sur les réseaux sociaux que ça soit sur les shootings photo, le tournage de clips, etc. C’est vraiment très important pour nous. Donc je ne pense pas qu’on partirait sur quelque chose de déconnecté de cet univers folk qu’on essaye de soigner depuis le début. Pour nous c’est vraiment important, au-delà de la musique, d’avoir un univers bien marqué et dans lequel on se reconnaît.
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 > Depuis quelques années le visuel a une très grande importance, encore plus à l’heure actuelle où il faut pallier l’absence de concert. Est-ce que pour vous c’est stimulant d’avoir ce visuel à créer autour, ou vous percevez ça comme une contrainte ?
Benjamin : Ca n’a jamais été une contrainte car on a la chance d’avoir des parcours qui nous facilitent la tâche dans ces domaines-là, notamment dans tout ce qui est graphisme, photo… J’ai été graphiste il y a plusieurs années donc tout ce qui est visuel m’a toujours beaucoup plu. C’est quelque chose qu’on fait assez facilement et qu’on met encore plus en avant vu le contexte actuel. Ce n’est pas une contrainte et c’est même un plaisir. On a d’ailleurs déjà parlé de clips avec Julien, peut-être pour la suite, pour renforcer ça.
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   > Est-ce que vous prévoyez de faire d’autres vidéos, comme des concerts en ligne dans le contexte actuel ?
Charlotte : On avait fait un live en décembre à Massy-Palaiseau. Ce n’était pas le set complet, juste quelques morceaux de l’EP. On a également quelques demandes de programmation au printemps, en Essonne. L’idée est de commencer à travailler sur le booking pour la saison prochaine, mais c’est très compliqué…
Benjamin : On est un peu perdus sur ce qu’il est possible de faire ou non ; on ne sait pas à quel moment engager le booking. J’aime pas trop dire ça mais je pense qu’au printemps/été, faute de concert, il faudra faire du contenu, des vidéos… On a une captation le 17 mars avec Le Cargo ! pour faire quatre morceaux dans deux espaces différents. Je pense que ça va être très chouette ! Il y aura deux morceaux inédits qu’on n’a jamais captés, dont un a cappella dans l’espace piscine !
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> Et avant de nous quitter, quels sont vos clips du moment ?
Julien : Tous les clips de Daft Punk ! Je connaissais les principaux, mais j’en ai découvert plein d’autres qui sont moins connus mais très sympas ! C’était marrant à voir.
Charlotte : En manque de live, je suis plutôt live session en ce moment, en particulier celle de la chaine Le Cercle avec des lieux atypiques. Et pour les clips, je dirais ceux de Billie Eilish.
Benjamin : Moi je suis sur les vidéos de Fiona Apple, une artiste américaine atypique. Il faut écouter son dernier album, c’est très original !
Charlotte : On aime beaucoup les lives de Patrick Watson aussi.

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   > Un grand merci à Belle Vedhere et à Julien Surdeau pour le temps qu’ils nous ont consacré !

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www.facebook.com/bellevedhere

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Etudiante, je suis une passionnée d'art, et plus particulièrement de musique et de cinéma. Attirée par le milieu du journalisme et de la communication, j'aime partager mes petites découvertes artistiques avec les autres.

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