HomeInterviewsHop Pop Hop 2020 : rencontre avec Calling Marian

Hop Pop Hop 2020 : rencontre avec Calling Marian

Lors du festival Hop Pop Hop, qui s’est déroulé à Orléans les 18 et 19 septembre derniers, nous avons eu la chance d’échanger avec Calling Marian, l’une des jeunes pousses prometteuses de la scène techno française. Place des femmes dans la musique, crise, iNOUïs du Printemps de Bourges, projets passés et futurs… Calling Marian a accepté de répondre à nos questions et de nous parler de sa carrière, de ses ambitions.

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   > Tu évolues dans l’univers de la techno, ce n’est pas forcément un style très commun chez les femmes, comment te sens-tu en tant que femme dans ce milieu ?

Le fait de dire qu’il n’y a pas beaucoup de femmes dans la techno est une idée reçue et je pense que c’est l’un des styles musicaux où nous nous approchons le plus de la parité. Il y a énormément d’artistes de musique électronique, notamment des artistes femmes et aussi des superstars. Il y en a à tous les niveaux. Nous pouvons, par exemple, citer Nina Kravitz, Charlotte de Witte, qui sont des superstars et qui gagnent presque autant d’argent que David Guetta. Mais il y en a aussi des moins connues ou des plus localisées comme Jennifer Cardini ou Chloé qui s’inscrivent dans des époques mais qui sont aussi devenues incontournables. Sans oublier la jeune génération comme moi, Irène Drésel, Mila Dietrich, Romane Santarelli qui était aux iNOUIS du Printemps de Bourges récemment… Il y en a plein et je ressens une assez forte sororité avec ces artistes. J’ai l’impression que nous arrivons vraiment à exister en comparaison avec d’autres styles musicaux pour lesquels c’est moins évident, comme la musique classique où les femmes qui sont reconnues sont solistes en chant, en violon ou en piano mais une percussionniste ou une contrebassiste ne sera jamais reconnue pour ses qualités. Dans le métal, le rock c’est également compliqué ; les femmes sont, en général, chanteuses et quand elles ne le sont pas c’est un peu exceptionnel… Alors globalement, dans la techno, nous nous en sortons pas si mal.

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   > Par conséquent, selon toi, cette idée reçue viendrait-elle du fait que les femmes ne sont pas assez mises en valeur ?

Exactement. Pour moi, il y aurait plutôt un problème sur la visibilité et la représentation mais nous allons vers du mieux. Je pense que les festivals de musique électronique sont les événements où il est plus facile de faire respecter la parité. Bon, la parité est très rarement respectée mais quand elle l’est j’ai l’impression que dans la musique électronique c’est plus facile que dans d’autres styles musicaux. Nous allons vers du bien.

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   > Actuellement, nous sommes face à l’émergence de nombreux mouvements qui encouragent les femmes à prendre leur place. Que conseillerais-tu à une femme ou à un homme qui voudrait faire de la techno, mais qui n’ose pas pour diverses raisons, dont peut-être cette histoire de parité ?

Effectivement, la musique techno est un style où il est difficile de percer. La production de musique électronique est accessible à tout le monde, puisqu’il suffit d’avoir un ordinateur, qu’il n’est pas nécessaire d’aller en studio… par conséquent il y a eu une explosion d’artistes de musique électronique. Alors oui, à terme et à très haut niveau de carrière le cheminement va être le même que pour d’autres esthétiques mais très vite, l’avènement du home-studio a permis l’existence de ces musiques de très bonne qualité, sans avoir de matériel hyper performant. Ce que je conseillerais à ceux qui n’osent pas se lancer c’est de persévérer. Il faut être patient. Que ce soit en DJ set ou en production, il y a beaucoup d’artistes, de concurrence. Il faut trouver son « truc », s’écouter, réussir à se démarquer, que ce soit musicalement ou dans sa personnalité. Le plus difficile est d’être original et de proposer quelque chose qui n’a pas déjà été fait, mais c’est aussi ce qui offre le plus de chance de se démarquer des autres artistes.

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   > Tu as gagné les iNOUïS du Printemps de Bourges en 2019. Ce tremplin a-t-il eu un impact important dans ta carrière ?

Oui, ce tremplin m’a ouvert les portes de la reconnaissance dans le métier, dans l’institutionnel et dans l’industrie musicale. Ce qui n’est pas évident dans le style de musique que je fais, puisque c’est surtout de la musique qui est jouée dans les clubs, avec une esthétique plus underground et pas forcément reconnue par les médias mainstream. Ce n’est pas souvent que nous pouvons voir un live de Laurent Garnier sur M6. Les iNOUÏs du Printemps de Bourges m’ont permis d’avoir une certaine assise dans le milieu musical professionnel et d’être reconnue. Cela m’a aussi apporté un peu d’expérience, puisque nous sommes partis en tournée en octobre dernier, dans des conditions un peu « star » : nous avions un bus, on se voyait tous les jours… C’était quelque chose que je n’avais jamais fait et c’était très intéressant. Cela m’a aussi apporté du public. C’était une belle expérience.

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   > Ta musique est assez viscérale. On ressent beaucoup de force, de puissance. Où vas-tu chercher tes sons, qu’est-ce qui t’inspire ?

J’ai du mal à répondre à cette question parce que j’ai beaucoup écouté de musique de toute sorte, tout au long de ma vie. Mon père est vendeur de disques, j’étais très rock quand j’étais adolescente, puis j’ai fait une fac de musicologie donc j’ai eu une ouverture vers le classique et les musiques plus « sérieuses ». Vers 20/23 ans j’ai commencé à sortir en club et j’ai eu une révélation, je me suis dit « qu’est-ce que c’est bon quand la musique te tabasse » et c’est ce qui m’a donné envie de produire, de déclencher de l’émotion chez les gens. J’avais envie qu’ils ressentent l’énergie que j’ai pu avoir en allant clubber. C’est mon but premier. Je m’acharne également à faire beaucoup d’harmonie, d’écriture mélodique, des morceaux avec de l’émotion, qui touchent. Je ne fais pas une techno brutale et froide. J’ai envie que les gens soient touchés émotionnellement, pas seulement dans leur cœur énergétique. J’aime allier la puissance et l’émotion.

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   > À quel moment sais-tu que ton morceau est terminé, que tu ne vas plus le retravailler ?

C’est un peu difficile de déterminer ce qui permet de dire que c’est fini. Pour moi, c’est quand je ne trouve plus rien à retoucher et que je suis satisfaite. Mais il y a des gens pour qui c’est impossible. J’ai des amis producteurs qui ont un million de morceaux commencés et qui ont du mal à mettre le point final. Je pense qu’il y a un moment où il faut dire stop, se mettre des contraintes, se dire « je ne passe pas plus de tant d’heures sur ce projet » et quand c’est fini, c’est fini.

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   > Surtout que la techno permet quand même de revenir plus facilement sur la composition d’un morceau…

Oui. Personnellement j’utilise des synthés mais globalement tout est informatique et il est très facile de reprendre une section sans tout supprimer. Il n’est pas obligatoire de refaire une prise. On peut faire du découpage et remettre des morceaux. La techno possède un côté puzzle très intéressant, qui rend la chose très flexible et la modification plus facile.

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   > Tu as monté ton propre label pour sortir tes disques. Pourquoi avoir fait ce choix ? Par envie de garder la main sur ton projet ?

C’est à moitié un choix au départ. Ça c’est fait comme ça car il était plus simple de pouvoir sortir de la musique quand je le souhaitais, plutôt que d’attendre l’accompagnement des labels, dont les calendriers sont pleins et les esthétiques hyper précises. En électro les choses vont vites, il faut sortir souvent pour être repéré. Puis on m’a fait comprendre que c’était très intéressant que je sois auto-produite, qu’il fallait continuer dans cette voie et j’ai décidé de développer le projet, de rester la capitaine de mon bateau. Aujourd’hui ce choix me correspond bien mais il est difficile de faire une économie avec un label. La musique enregistrée ne rapporte pas beaucoup d’argent. Au bout d’un moment, il y a une limite financière qui empêche de pouvoir proposer des choses plus intéressantes. Mais globalement je suis contente de la maîtrise que je peux avoir sur mon esthétique, ma musique, mes choix.

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   > Est-ce que tu envisages, à long terme, de signer d’autres artistes, que ce soit des artistes techno ou évoluant dans d’autres esthétiques ?

Je ne sais pas si je signerai des artistes à part entière parce que je ne me vois pas comme une faiseuse de miracles pour d’autres mais je suis très ouverte à la collaboration et ça m’intéresse beaucoup. Actuellement, je suis en train d’élaborer une compilation avec d’autres artistes avec qui j’ai des affinités musicales ou avec qui j’ai déjà travaillé. J’ai également déjà sorti un EP de remixes et réalisé une compilation avec mon ancien collectif Conspiration. Tout est déjà enclenché pour qu’il y ait des projets avec d’autres artistes. Mais ce n’est pas la priorité absolue, qui est plutôt de sortir ma musique avant tout. Cela dit, c’est envisageable effectivement.

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   > Tu as par ailleurs sorti ton nouvel EP cette année. Comment te sens-tu par rapport au contexte, face à l’impossibilité de jouer ta musique dans les clubs ?

Je pense que nous avons de la chance de vivre à une époque où Internet existe et où il est possible d’écouter de la musique. Je pense que s’il y avait eu la covid-19 avant l’explosion du disque, cela aurait été super compliqué. Tout le monde serait au chômage. Pendant la crise, les plateformes de streaming ont explosé, il y a eu beaucoup de nouveaux abonnements. Les gens n’arrêtent pas d’écouter de la musique. Ils arrêtent d’aller en concert parce qu’il y en n’a plus mais il existe toujours la curiosité et l’affection pour les artistes est toujours là. Le public ne se désintéresse pas de la musique. Ils en ont besoin pour vivre, jogger, faire la cuisine… Oui ma musique se prête plutôt à la fête donc c’est un peu triste mais je suis quand même suivie. Je sens que les gens sont curieux de ce que je fais, ils suivent le projet. Ce n’est pas facile mais on tient le coup.

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   > Tu restes assez active, puisque tu as notamment relancé tes mixtapes début septembre. Tu parles de « chiner des sons »… où vas-tu les chercher ? Comment les choisis-tu ?

Il y a plusieurs possibilités. Soit je vais regarder les actualités des artistes que je suis, comme Maxime Dangles dont je suis très fan, soit je profite d’Internet et des sites tels que Spotify ou YouTube, qui font des propositions accessibles, bien organisées en fonction des habitudes d’écoute et souvent très cohérentes. Tout n’est pas bien avec ses plateformes puisque les artistes sont mal reconnus et mal rémunérés mais leurs algorithmes sont incroyables. Plus tu écoutes de la musique, plus tu nourris une intelligence artificielle qui va te le rendre en te proposant des projets que tu n’aurais pas forcément découvert parce que tu ne connais pas l’artiste. Personnellement je suis entre le digging actif et la réception passive de musique que me propose Internet. J’ai des plateformes de prédilection, comme Bandcamp, qui me permet d’aller voir ce qu’écoute un fan de ma musique, de découvrir de nouvelles choses et d’être associée à des artistes que je ne connais pas mais dont la musique est assez similaire.

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   > Tu as également travaillé autour de la création spatiale lors d’une résidence. Peux-tu nous expliquer en quoi cela consiste ?

La musique spatialisée c’est la 3D du cinéma. Au lieu d’écouter la musique en stéréo, nous créons une sphère de hauts-parleurs autour du public et nous faisons se balader la musique en 3D et pas uniquement sur deux hauts-parleurs. Le point d’émission est très varié et cela permet de décider que tel synthétiseur va avoir telle trajectoire, que les percussions vont être en haut ou en bas. Il y a une dimension spatiale qui est ajoutée à quelque chose de normalement essentiellement auditive. C’est très intéressant. J’ai fait cette résidence avec Des Sons Animés dans le but de faire une création en co-production avec Mixmag qui a réalisé une très belle exposition. C’était un projet très ponctuel, ce n’est pas quelque chose dans lequel je vais m’épanouir outre mesure. Mais c’était une expérience très enrichissante et c’était intéressant de pouvoir faire cette proposition à la sortie du confinement. C’était une belle opportunité qui m’a permis de continuer à expérimenter malgré la période.

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   > D’un point de vue culture, quels artistes conseillerais-tu à quelqu’un qui découvre la techno ?

Il y a deux possibilités. Soit la personne reprend de 0, souhaite rattraper son retard de culture et dans ce cas-là il faut écouter les géants qui ont fait la musique, tels que Laurent Garnier, qui est un très bon exemple, ou du côté des américains avec Derrick May. Il faut écouter les origines de cette musique, qui vient à la fois de Chicago, de Berlin, de Paris, avec une scène très intéressante mais c’est également bien de découvrir la techno d’aujourd’hui, avec Irène Drésel par exemple, qui sort des clichés que nous pouvons attendre de ce style de musique. Il y aussi Mila Dietrich, une excellente productrice qui est en train de monter. Je respecte beaucoup son travail. Je conseillerais surtout à ceux qui ont cette curiosité de regarder la programmation des soirées et des festivals qui ont eu lieu ces dernières années, même si actuellement c’est difficile. Il y a un vivier fort d’artistes et de musique à découvrir.

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   > Pour terminer, qu’envisages-tu pour le futur ? Ton dernier EP est sorti en février 2020, que vas-tu faire ensuite ?

Dans la mesure du possible il faut que je puisse jouer ce live. Il est prêt depuis mars et ça me brûle les doigts. Je suis aussi en train d’écrire de la musique pour sortir un album. L’EP est une carte de visite qui permet de se présenter en tant qu’artiste, l’album peut être plus abouti, plus sincère, plus personnel. J’ai commencé ma carrière en 2017 et je produis depuis que j’ai 15 ans donc j’aimerais pouvoir proposer quelque chose qui me ressemble vraiment et qui serait une œuvre longue durée.

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Merci à Calling Marian pour cet échange très intéressant !
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www.facebook.com/callingmarian
Photo © Laure Clarenc

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Actuellement chargée de communication, je suis passionnée par les musiques actuelles. J'observe, j'écoute, j'interroge et j'écris.

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